Tommy Lee Jones : Cantique des plaines
Cinéma

Tommy Lee Jones : Cantique des plaines

Qui a peur de Tommy Lee Jones? Avec la réputation qu’on lui connaît, bien des journalistes le craignent. Et pourtant, le fier Texan, couronné à Cannes, s’est montré des plus affables pour nous entretenir de la mort, de la rédemption et du western. Amen.

Peu après que Tommy Lee Jones eut présenté The Three Burials of Melquiades Estrada au Festival de Cannes, où il reçut le prix d’interprétation masculine et Guillermo Arriaga, celui du meilleur scénario, les critiques de cinéma se sont mis à le comparer à Sam Peckinpah et à Clint Eastwood: "Je trouve qu’ils me placent en excellente compagnie! J’adore vous entendre me le rappeler! lance joyeusement l’acteur-réalisateur joint au téléphone à Wellington, Floride. Cannes a été une grande surprise et un grand honneur. C’est un public difficile, sophistiqué, c’était donc très flatteur d’avoir une réaction aussi positive là-bas."

Drame lyrique campé au Texas, The Three Burials… ne marquait pas le premier passage de Jones derrière la caméra. De fait, en 1995, il signait The Good Old Boys, un western pour la télé. Un genre de prédilection? "Non! En fait, je ne pense pas vraiment en termes de genre, raconte celui qui, outre Peckinpah et Eastwood, admire le travail des Kurosawa, Ford, Welles et Godard. Je suppose que vous pourriez appeler The Three Burials… un western parce qu’il y a des chevaux et de grands chapeaux. Ma philosophie, c’est que si quelqu’un a besoin d’apposer une étiquette sur un film afin de se donner l’impression qu’il a raison, laissez-le choisir à son goût. Vous pouvez bien appeler cela de la pornographie si ça vous chante et que cela rend le film plus hot, ou encore un film d’horreur parce qu’on y voit un gars mort."

Est-ce pour choquer le spectateur que vous montrez un cadavre ou pour illustrer ce que dit Arriaga de notre société?

"Je sais qu’il croit que notre société dénie la mort; pour ma part, je ne sais pas trop… enfin, ça fait partie de la vie et ce serait bien difficile de faire semblant qu’elle n’existe pas. Je croyais que c’était une bonne idée que de montrer un cadavre; je trouvais cela effrayant, morbide, parfois drôle, et, d’un certain point de vue, original. Je n’avais pas de critique à faire sur la société en général. Du moins, je n’en avais pas à faire pour ce film."

Vous avez voulu rencontrer le scénariste Guillermo Arriaga après avoir vu Amores Perros, d’Alejandro González Iñárritu; qu’est-ce qui vous attirait le plus dans son écriture? Sa forme fracturée, ses thèmes?

"Les deux! Lorsque j’ai vu Amores Perros, il était clair pour moi que c’était du jamais vu. Plus que tout, c’est l’originalité qui m’a séduit."

Un certain aspect religieux émane de votre film, qui n’est pas une histoire de vengeance, mais plutôt de rédemption.

"Absolument! S’il avait fallu un autre écrivain qu’Arriaga pour la pensée et la structure narrative, ç’aurait été Flannery O’Connor (ndlr: dont le roman Wise Blood a été adapté par John Huston), un écrivain américain qui explorait des thèmes religieux à travers des événements banals."

L’histoire s’inspire-t-elle de faits réels? Vouliez-vous dénoncer le traitement réservé aux Mexicains qui traversent la frontière américaine?

"Non, Three Burials… n’est pas tout à fait basé sur un fait réel, bien qu’il existe sûrement des événements similaires. Si le film avait à dénoncer quoi que ce soit, ce serait l’ethnocentrisme."

Vos personnages, très nuancés, semblent menacés par la nature, pourtant magnifique, du Texas.

"C’est un pays dur, très dur et aussi très beau. C’est un pays qui impose le respect; si on ne le respecte pas, il nous blessera. Chaque personnage semble bercé par ses propres illusions, ce qui est exactement comme dans la vraie vie, en ce qui me concerne. Je me souviens d’avoir pensé tout haut derrière la caméra un jour, je me disais que chaque personnage du film était un idiot. Puis je me disais: "Mais non, celui-ci est un héros, celui-là aussi." En fait, l’idée majeure qui ressort du film, c’est qu’être un être humain ne nous empêche jamais d’aller vers la bêtise."

Vous avez déjà avoué n’avoir aucun sens de l’humour…

"Je me demande bien qui a pu sortir ça! C’est plutôt drôle, en fait."

Il y a plusieurs éléments comiques, voire absurdes, dans votre film; on n’a qu’à penser à la façon dont votre personnage traite la dépouille de son ami.

"Oui! Et je crois que le film devient vraiment bon lorsque quelqu’un se décide à rire. À ce moment-là, le rire est contagieux, et ça, c’est une bonne chose. Ceci dit, l’humour est très important pour moi."

Enfin, croyez-vous que votre film et Brokeback Mountain d’Ang Lee vont changer le genre western?

"Je n’ai pas vu le film d’Ang Lee… Je ne pense pas du tout en termes de western. J’étais avidement intéressé à faire un film sur mon pays, son histoire et ses personnages. Et comme je viens du Texas, ça implique des chevaux et de grands chapeaux, alors les gens du Nord appellent ça du western… et moi, je n’ai pas de problème avec ça!"

À l’affiche dès le 17 mars.