Tous les autres, sauf moi : Baby blues
Pour Tous les autres, sauf moi, Ann Arson signe le scénario et la réalisation, en plus de s’être mêlée du montage et d’avoir écrit quelques chansons. Elle y joue aussi le rôle principal et pousse la chansonnette. Mais qu’est-ce qui fait donc courir la pétillante cinéaste?
Spontanée, rafraîchissante et drôle, Ann Arson ressemble à son film, lequel traite avec finesse et légèreté de la maternité. Fortement autobiographique, Tous les autres, sauf moi n’est cependant pas une plate transposition de la vie de celle qui a réalisé quelques courts (Niagara, Bluff, Manège, "des drames épouvantables!" de lancer la principale intéressée) et des magazines pour la télé (Cent titres, Ô Zone). Chose certaine, il prouve hors de tout doute que la dame possède un sens de l’observation et de la réplique à la Candace Bushnell, l’auteure de Sex and the City.
Ann Arson confie: "J’avais 37 ans lorsque j’ai écrit le scénario, et avec toutes les amies que j’avais autour de moi, j’avais comme expérience de femmes avec bébés une bonne vingtaine d’années, et tout ce que ça comporte d’accumulation d’information. Lors de l’écriture de ce film-là, les scènes se complétaient, rebondissaient toujours aux bons endroits jusqu’à former une espèce de boule compacte. Ça, c’était le fun parce que j’avais beaucoup de matière: j’ai toujours voulu parler contre la télévision, du vieillissement de la population, de notre problématique en tant qu’êtres humains. La planète est déjà surpeuplée, alors si moi, je mets un enfant au monde, est-ce un geste égoïste ou altruiste? Ça faisait beaucoup de choses qui s’accumulaient et qui me permettaient un exutoire dans un seul et même lieu."
D’où vient ce sens de l’observation?
"Ce qui me fascine le plus, c’est l’être humain. Dans ma jeunesse, j’allais à des partys pour observer les gens. Je me suis donc retrouvée dans une espèce d’observatoire et c’est ce qui me permet d’enseigner le jeu d’acteur pour le cinéma depuis maintenant 18 ans, et aussi d’écrire des personnages crédibles dans leurs comportements, leurs contradictions, leurs doutes, leurs fonctions."
Que raconte donc ce que l’on pourrait appeler un Horloge biologique avec des ovaires ou un Maman Last Call sur le Ritalin? Une histoire toute simple, mais qui complique drôlement la vie du personnage principal, Jeanne (Arson), qui, à 38 ans, tombe accidentellement enceinte de son nouvel amant (Martin Fortier). Hésitant à subir un avortement, la gentille névrosée s’envole vers Paris, Bruxelles et Amsterdam afin d’y rencontrer ses copines (Johanne-Marie Tremblay, Tania Kontoyanni et Nathalie Portal) à qui elle fait croire qu’elle désire tourner un documentaire sur la maternité. Ses questions viendront bouleverser les convictions de ces femmes et de leurs mecs (Rony Kramer, Luck Mervil et Frédéric Desager) quant à avoir des enfants ou pas. En fait, la seule à ne pas être ébranlée, c’est l’adorable nounou campée par Élizabeth Chouvalidzé.
Qu’en est-il de vos propres convictions sur la maternité?
"Je n’ai pas d’enfants; j’en ai désiré, mais comme je rêvais d’être réalisatrice, un métier de fous, j’ai laissé tomber."
Vous semblez toutefois faire l’éloge de la maternité.
"Autour de moi, beaucoup de pères me parlaient de leur expérience. L’un d’eux m’avait dit: "J’ai mis une fille enceinte et je ne voulais rien savoir. Aujourd’hui, je suis tellement amoureux de cette enfant-là, qui m’a empêché de faire une dépression à 40 ans. C’est pour elle que je travaille, c’est ma fille, regarde, c’est sa photo, je la garde tous les week-ends." En voyant ça autour de moi, je me suis dit que j’allais écrire certains passages pour eux parce que c’est très vrai que certains enfants sont là pour remettre en place le sens des valeurs, la perte de soi à travers un travail trop intense. On décroche de l’essentiel pour tomber dans un système de valeurs superficielles."
Ann Arson venait de terminer l’écriture de son scénario lorsqu’on a annoncé la sortie de Maman Last Call de François Bouvier. Afin de ne pas s’inquiéter, cette admiratrice de Woody Allen et de John Cassavetes a refusé d’aller voir le film. Une sage décision puisque même si les sujets se recoupent, la facture est bien différente. Tourné avec un modeste budget de un million de dollars, dans 22 lieux avec 52 personnages, Tous les autres, sauf moi s’avère une comédie dramatique tour à tour pimpante, zen et émouvante. Qui plus est, on n’y retrouve aucune tête d’affiche.
Celle qui prépare un drame psychologique teinté d’humour noir sur cinq femmes célibataires qui en ont gros sur le coeur explique: "Dans tout le processus de production, on veut que tu choisisses des têtes d’affiche, ce que je comprends, et c’est tout un débat! Vu que j’avais décidé de faire un film indépendant, je me retrouvais réalisatrice et productrice, j’avais donc mon droit de veto pour toutes les décisions créatives. Je me suis dit: "Lançons une nouvelle mode!" La mode des gens qu’on n’a jamais vus et qu’on fait découvrir au public, ou des gens qu’on va chercher parce qu’on ne les voit pas assez souvent et qu’ils ont du talent, Dieu du ciel!"
Vous portez beaucoup de chapeaux pour ce film, par insécurité ou parce que vous êtes maniaque du contrôle?
"Je me suis fait un gros cadeau, j’ai toujours rêvé d’être chanteuse – quand j’étais petite, je me prenais pour Liza Minnelli! Mes amis étaient super contents lorsque j’ai eu ma subvention, mais ils avaient peur parce que je leur disais: "Je fais mon film, je joue dedans!" Là, il y avait un long silence. Je leur disais: "C’est mon projet et ça va s’appeler It’s All About Me." En faisant de l’humour avec ça, ça détruisait le malaise et ça me permettait de rester modeste. Sinon, ç’aurait été pathétique! Il fallait que je sache distinguer entre: "Est-ce que je me fais un cadeau ou je me prends pour une autre?"" La réponse? Un cadeau pour elle et pour nous.
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