Festival de cinéma des 3 Amériques : Conseils de pros
Cinéma

Festival de cinéma des 3 Amériques : Conseils de pros

THE DEVIL AND DANIEL JOHNSTON

Récompensé à Sundance et au Festival du film indépendant de San Francisco en 2005, The Devil and Daniel Johnston relate l’histoire rocambolesque d’un artiste aussi fragile que lumineux, menant un perpétuel combat contre ses démons. Très jeune, Daniel Johnston se passionne pour le cinéma, le dessin et la musique. Dans son atelier-studio de la résidence familiale, il enregistrera une quantité phénoménale de chansons, distribuant ses cassettes illustrées manuellement à ses amis, fans, ainsi qu’à quelques chroniqueurs spécialisés. Mais au moment où poindra un début de popularité, la psychose maniaco-dépressive latente prendra malencontreusement le dessus et altérera le juste cours des choses. À l’aide de plusieurs entrevues et documents d’archives, le réalisateur Jeff Feuerzeig dresse un portrait à la fois touchant et troublant de Johnston, dépeignant le cocktail explosif que peuvent engendrer la passion créative, l’extrême sensibilité, le désir de célébrité et l’usage de drogues dures, le tout combiné à une importante obsession pour le diable. (P. Ouellet)

WHY WE FIGHT

Tel que le suggère un des nombreux et pertinents intervenants du documentaire Why We Fight, Eisenhower doit aujourd’hui se retourner dans sa tombe. Car au moment de quitter ses fonctions en 1961, le 34e président des États-Unis mettait en garde la nation américaine contre ses propensions impérialistes et ses fortes tendances guerrières, utilisant pour une des premières fois l’expression "complexe militaro-industriel", effroyable sujet de ce film réalisé par Eugene Jarecki (également derrière Le Procès de Henry Kissinger; Prix Amnistie internationale en 2002). Des véritables objectifs derrière les bombardements atomiques sur le Japon en passant par l’incident du golfe du Tonkin et les armes de destruction massive irakiennes, Jarecki dénonce l’étroite relation entre de hauts dirigeants du Pentagone et plusieurs grands fabricants d’armes américains, la manipulation des médias et la complicité du Congrès dans cette douteuse formule de colonialisme économique par la force, où les intérêts commerciaux pulvérisent la volonté populaire. À voir. (P. Ouellet)

QUI A TIRÉ SUR MON FRÈRE?

En cherchant à découvrir qui a tenté d’assassiner son frère Oscar, le Montréalais German Gutierrez nous amène en plein cour de la brutale Colombie, où l’armée, les groupes paramilitaires, les guérilleros et les forces américaines, présentes sous le discutable prétexte d’une guerre contre la drogue, entretiennent tous leur petit royaume de barbarie. Député de la région de Caldas, Oscar Gutierrez tentait de défendre les intérêts des pauvres paysans, victimes de la rapacité sans bornes des riches propriétaires terriens et de la corruption chronique des élus, quelques-uns des multiples facteurs alimentant sans répit la spirale de violence. À travers la beauté de ses paysages et la chaleur de ses habitants, Gutierrez révèle un pays en proie au libéralisme économique sauvage pratiqué par nombre de sociétés américaines, où 2 millions de personnes ont dû fuir leur domicile, où plus de 100 000 mines antipersonnel attendent patiemment leurs victimes et où au moins 2 personnes par jour connaissent une mort violente. Âmes sensibles s’abstenir. (P. Ouellet)

DEUDA

Avec son percutant documentaire Deuda (dette), coréalisé avec Andrés Schaer, le journaliste argentin Jorge Lanata se penche sur les causes et conséquences de la faramineuse dette de son pays. Sur un ton cinglant à la Michael Moore, Lanata fait état du malin cancer bureaucratique rongeant certaines institutions telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, mettant en parallèle l’énorme gaspillage engendré par l’avortement inexpliqué de nombreux projets de développement et la pauvreté de plusieurs habitants de la province de Tucuman, notamment. Parmi ceux-ci, la petite Barbara Flores, huit ans, souffrant de malnutrition sévère, dans un pays qui était autrefois le plus riche de l’hémisphère Sud. Montrant l’extrême difficulté de tenir un compte crédible de ladite dette et recevant des réponses stupéfiantes de certains responsables interrogés lors du Forum économique de Davos, Lanata soulève maintes questions aussi cruciales que sans réponse, émettant de sérieux doutes sur la logique économique contemporaine. (P. Ouellet)

ALMA MATER

La mi-trentaine, célibataire, dévote, sans grande passion, simple caissière passant inaperçue: Pamela mène une vie qui n’a rien d’extraordinaire jusqu’au jour où une série d’événements viennent s’imposer à elle. Un mystérieux étranger qu’elle rencontre régulièrement lui conseille de "ne pas résister", une prostituée travestie la prend en main afin qu’elle s’épanouisse… Mais surtout, Pamela est aux prises avec des crises mystiques de plus en plus nombreuses et puissantes, qui semblent vouloir lui révéler sa véritable nature. Dans la plus pure veine du cinéma sud-américain, le film de l’Uruguayen Álvaro Buela adopte une approche fantastique impressionnante pour aborder la figure charismatique de la Vierge Marie, alors que la prémisse se voulait avant tout réaliste. Buela envoie ainsi une foule de clés aussi symboliques qu’oniriques, servant à décoder un film très bien orchestré et très en phase avec son sujet, qui est finalement moins la religion que le début du mysticisme. (J.-F. Dupont)

TEMPORADA DE PATOS

Ce qui s’annonçait comme une journée idéale pour les deux ados Flama et Moko prend vite une tournure inattendue. Les parents partis pour la journée, un appartement vide, des jeux vidéo, une pizza à se faire livrer… Les événements commencent à débouler avec l’arrivée de Rita, la voisine de palier délurée de Flama, qui prend prétexte d’un fourneau brisé pour venir perdre son temps dans la cuisine. Et c’est au tour de l’électricité de flancher. Puis le livreur de pizza se pointe en retard de quelques secondes, mais exige de se faire payer quand même, ce que les deux ados veulent régler par un duel vidéo… Pendant quelques heures, le temps semble donc s’arrêter pour les quatre compères, dans ce qui se donne l’apparence d’un huis clos mais qui est en réalité construit d’une foule de petits détails réjouissants, qui viendront peu à peu définir l’existence de chacun et influencer le futur de Flama. Ce premier long métrage du réalisateur mexicain de 36 ans Fernando Eimbcke lui a valu plusieurs prix dans son pays. (J.-F. Dupont)

HERMANAS

Après une séparation de près de 10 ans, Natalia, une journaliste, retourne chez sa sour Elena, installée au Texas avec son mari et son garçon. C’est le milieu des années 1980 et les deux femmes argentines se sont quittées dans la tourmente des années de la dictature qui sévissait dans leur pays. Natalia y a perdu son ami Martin, militant comme elle, en plus de voir son père écrivain être emprisonné. Ce qui s’est réellement passé à l’époque demeure obscur, et les deux sours tenteront de recoller les morceaux de leur séparation en déchiffrant un manuscrit qu’a laissé leur père. C’est alors deux conceptions et deux visions de l’histoire de l’Argentine qui s’affrontent chez ces deux sours à la fois semblables et opposées. La réalisatrice Julia Solomonoff revient sur l’histoire politique trouble de son pays en opposant avec beaucoup de maîtrise et de doigté l’intime et le social. Solomonoff était l’assistante réalisatrice du Diarios de Motocicleta de Walter Salles, inspiré du journal intime du Che. (J.-F. Dupont)

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ART SCHOOL CONFIDENTIAL

Jerome est un jeune homme talentueux qui a souvent été la victime de moqueries et dont le seul échappatoire demeure le dessin. C’est pourquoi une fois inscrit à une école d’art, il aspire à devenir rien de moins que le plus grand artiste du XXIe siècle. Même s’il est poussé dans son rêve par une muse qu’il reconnaît dans la personne d’Audrey, un modèle, la réalité est tout autre. Le campus est terrorisé par un tueur en série, les étudiants sont possédés pour la grande majorité par une impressionnante palette de névroses qui les rendent infréquentables et les professeurs (avec John Malkovich en tête) sont depuis longtemps embourbés dans une vanité et une suffisance méprisante qui les rendent aveugles. Après une première association ayant conduit à l’excellent Ghost World, le réalisateur américain Terry Zwigoff et le bédéiste Daniel Clowes (au scénario) reprennent le mode de la satire pour dépeindre cette fois le monde des arts plastiques avec un cynisme sans pitié. On sent bien que Clowes s’en donne ici à cour joie, mettant à l’avant-plan des situations loufoques, absurdes, voire carrément surréalistes, mais toujours au service d’une intrigue diabolique au final. Et comme par le passé, le résultat vaut aussi pour son impressionnante galerie de personnages aussi attachants qu’irrécupérables! (J.-F. Dupont)

MARY

L’animateur d’une émission de télé s’intéressant aux aspects méconnus de la vie de Jésus (Forest Whitaker) se voit anéanti lorsque sa femme (Heather Graham) et son nouveau-né se retrouvent à l’hôpital entre la vie et la mort. C’est alors que, censé recevoir le réalisateur d’un film controversé (Matthew Modine) faisant de Marie-Madeleine une disciple du Christ, il cherche du réconfort auprès de l’actrice dont ce rôle a changé la vie (Juliette Binoche)… Ponctué d’interventions de réels experts religieux et d’extraits du film dans le film, entre New York et Jérusalem, Mary expose des thèses remettant en question certains dogmes de l’Église (quant au rôle de la femme, notamment), tout en se demandant comment concilier enseignements du passé et réalité moderne. Mais là où Abel Ferrara nous déjoue, c’est en prenant le contre-pied de la polémique, qui ne fait qu’attiser les tensions, pour se concentrer sur le message: travailler à devenir de meilleurs êtres humains. Une vision rassembleuse. Prix spécial du jury à la Mostra de Venise 2005. (J. Ouellet)

HISTORIAS DEL DESENCANTO

Désirant tourner un film fait de rêve, Diego et Ximena, deux amis tout ce qu’il y a de candide, pénètrent clandestinement dans l’atelier d’une artiste de performance et découvrent avec fascination que celle-ci possède de grandes ailes noires. Ainsi se trouvent-ils précipités dans l’univers désenchanté de cette harpie impudique, séduite par leur pureté et hantée par le fantôme de son amant… Rarement l’épithète onirique aura-t-il mieux convenu à un film, tant sur le plan du fond que de la forme. En raison d’abord de son histoire déjantée et fantasmagorique. Puis de tous ses symboles à forte résonnance (diable, miroir, etc.) autant que de ses personnages à dimension mythique. Mais aussi de son caractère débridé, l’exemptant de toute inhibition et lui permettant de métisser les genres (comédie musicale kitsch, trucages grotesques, etc.). Et enfin de son esthétique d’un surréalisme éclectique, misant sur une surenchère d’effets visuels époustouflante. Bref, une expérience dont le sens relève avant tout des sens. Un film d’Alejandro Valle et Felipe Gomez. (J. Ouellet)

MATANDO CABOS

D’un côté, un jeune homme se retrouve avec, sur les bras, le corps inanimé et à moitié nu de son riche beau-père, un type irascible et dangereux qui lui fera sa fête s’il le trouve sur son chemin à son réveil. De l’autre, un concierge, ayant piqué les vêtements et tout l’attirail de l’inconscient, se fait kidnapper à sa place par son propre fils, désireux de lui faire justice. Et la journée ne fait que commencer… Chassé-croisé conjuguant crime, violence et quiproquos, au gré d’un humour noir et parodique plutôt efficace, Matando Cabos présente certes quelque parenté avec les films de Guy Ritchie, ce qui ne l’empêche pas d’affirmer sa particularité à travers des scènes d’action aux airs de matchs de lutte et une panoplie de savoureuses excentricités. Quant à l’exercice de style, il s’avère concluant, sans pour autant devenir spectaculaire, alors qu’on cherche plus à amuser et à surprendre qu’à en mettre plein la vue. Avec, surtout, des personnages colorés et une histoire aussi abracadabrante que bien ficelée. Un film d’Alejandro Lozano. (J. Ouellet)

DON’T COME KNOCKING

Présenté en compétition officielle à Cannes l’an dernier, Don’t Come Knocking marque les retrouvailles de Wim Wenders et de son co-scénariste Sam Sheppard, 21 ans après Paris, Texas, road movie mettant en vedette Harry Dean Stanton. Ayant accepté cette fois d’incarner le rôle principal, Sheppard se glisse dans la peau de Howard Spence, ex-star de films westerns. Relégué aux rôles mineurs, Spence, qui carbure à l’alcool, aux drogues et aux femmes, décide d’enquêter sur son propre passé lorsque sa mère (Eva Marie Saint) lui annonce qu’il a un enfant. Ses recherches le mènent vers l’amour de sa vie (Jessica Lange) et son fils (Gabriel Mann), qui ne l’accueille pas à bras ouverts. Un drame existentiel, qui n’est pas sans rappeler Paris, Texas, porté par la musique de T-Bone Burnett. (M. Dumais)

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LA CLASSE DE MADAME LISE

D’emblée, être professeure de première année est tout un contrat. Même s’ils ont passé par la garderie ou la maternelle, les enfants ne sont pas toujours prédisposés à rester assis pendant des heures à étudier le français ou les mathématiques. Imaginez le défi qui se présente lorsque, en plus, les élèves n’ont pas tous les mêmes repères. Ainsi, chaque automne, Lise Coupal se retrouve devant une classe disparate où une multitude d’enfants d’ethnies et de religions différentes se côtoient. Pratiquement tous ses écoliers parlent une autre langue que le français avec leurs parents, ce qui rend encore plus ardue la tâche de les guider dans leur apprentissage.

Toutefois, il ne faut pas sous-estimer l’extraordinaire capacité d’adaptation des enfants. La Classe de Madame Lise le prouve merveilleusement, montrant l’incroyable évolution d’une vingtaine de garçons et filles qui entament leur vie scolaire. La réalisatrice Sylvie Groulx (L’homme trop pressé prend son thé à la fourchette) les a suivis pendant toute une année, captant une foule de moments parfois drôles, parfois touchants.

Le film offre aussi un portrait d’un des coins les plus densément multiculturels de Montréal, Parc-Extension, alors qu’on accompagne quelques-uns des élèves dans les rues, à la maison, et dans les nombreux temples et mosquées de ce quartier. Ce qui ressort est que, bien que tout semble séparer les petits Rohat, Solace et autres Rafik, grâce à la patience et à l’affection d’institutrices comme madame Lise, ils en viennent à former une véritable petite famille entre les murs de l’école. En espérant que cette harmonie dans la différence persiste à l’âge adulte… (K. Laforest)