La Rage de l'ange : La loi de la rue
Cinéma

La Rage de l’ange : La loi de la rue

La Rage de l’ange, premier long métrage de fiction de Dan Bigras, raconte l’histoire d’amour et d’amitié de trois jeunes meurtris à vie qui passeront par la rue pour trouver le chemin de la résilience. Rencontre avec le cinéaste et ses trois anges, Alexandre Castonguay, Isabelle Guérard et Patrick  Martin.

Afin de fuir ce qu’il appelle la névrose d’Outremont, Dan Bigras s’est retrouvé dans la rue. C’est là qu’il a vu les choses les plus laides comme les plus belles. C’est surtout là qu’il a appris à revivre. Engagé auprès des jeunes du Refuge depuis 1991, l’auteur-compositeur-interprète devenu acteur-scénariste-réalisateur a connu les 1001 visages de la souffrance, mais aussi celui de la résilience. Au fil des années, un récit a germé dans son esprit puis s’est coincé dans sa gorge. Un récit sur l’amitié et l’amour de trois anges enragés: Francis (Alexandre Castonguay), dur à cuire né d’un père violent (Bigras), Lune (Isabelle Guérard), prostituée toxicomane victime d’inceste, et Éric (Patrick Martin), graffiteur homosexuel parti à la recherche de sa mère biologique. Un récit qui aborde trois thématiques que Bigras a puisées à même la rue où errent plus de 10 000 jeunes, dont plusieurs issus de milieux favorisés. Trois rôles en or pour de jeunes comédiens qui voient aujourd’hui les jeunes de la rue d’un tout autre oeil.

Isabelle Guérard confie: "Ce que j’ai trouvé de fort dans le scénario de Dan, c’est qu’il y a beaucoup de stock dans chaque histoire; il a réussi à bien tracer chaque personnage. J’ai beaucoup d’admiration pour ces jeunes que l’on juge souvent par peur ou par incompréhension. Ces jeunes-là vivent un drame difficile, et des drames, nous en avons tous, sauf que dans la rue, on les vit à l’extrême. À un moment donné, je jasais avec une fille de la rue et je me suis rendu compte que nous avions des interrogations semblables quant à l’amour, nos enfants, notre avenir."

Dans la logique de son documentaire Le Ring intérieur, qui démystifiait la souffrance des jeunes se livrant à des sports extrêmes, La Rage de l’ange tente de montrer les racines du mal de vivre de ces jeunes qui préfèrent la rue au foyer: "C’est pas un film qui est là pour juger personne, c’est pas non plus un film qui est là pour "varger" comme Les Voleurs d’enfance de Paul Arcand – dans lequel on me voyait moi-même "varger"! La patrie, pour moi, c’est la famille. Je n’ai pas voulu accuser qui que ce soit, je voulais changer notre regard sur ces jeunes. C’est un film sur la "reprenure": ces jeunes veulent-ils être repris par leur famille, et leur famille veut-elle les reprendre? C’est un film d’amours avec un "s". Et si, après que le film ait été ramassé ou non par la critique, vu ou non par le public, j’apprends que l’amour "fucké" de deux jeunes qui se parlaient plus a pu être sauvé, ma job aura été faite, je pourrai passer au prochain!"

Pour les besoins du film, Dan Bigras a voulu éviter les clichés. Ainsi, il n’a pas campé l’action à Outremont et à Hochelaga-Maisonneuve; la rue qu’il nous fait découvrir, planète parallèle où l’amour, la vie et la mort se vivent à la puissance 1000, est en fait un concentré de celle qu’il a connue il y a 30 ans et de celle d’aujourd’hui: "Je voulais montrer l’amour, explique Bigras. Pour moi, la seule solution à la violence, la haine, la honte, c’est l’amour. La Rage de l’ange, c’est un film à l’eau de rose; je suis un gars à l’eau de rose. Moi, je baise comme t’as vu dans le film, je ne vais pas à L’Orage. Je suis un romantique, mais pas comme dans les films avec Hugh Grant! Moi, je veux ma vraie eau de rose, et si on veut me la montrer, il faut me montrer la vraie marde, crisse. Tu me montreras pas la vraie résilience pis la vraie guérison sans me montrer la maladie. Il faut aller partout et surtout dans les endroits où ça fait peur. Le film est écrit du point de vue d’un père violent mais aimant; c’était important d’humaniser le visage d’un monstre, mais tu peux pas faire du cute dans ces cas-là!"

Bigras en a aussi profité pour aborder un thème trop rarement exploité, celui de la mère manquante: "C’est une image insoutenable, mais qui existe beaucoup. C’est quand même assez hallucinant de voir aux nouvelles une femme qui soutient son mari qui a abusé de leur enfant, même avec photos à l’appui. Les mères absentes, c’est un tabou, mais les tabous, si tu me montres le chemin, je vais y aller, parce que les tabous sont des dangers publics."

À travers toute la violence de la rue, les sentiments bruts et la sensualité animale qui émanent du film, s’élève la poésie de Bigras que l’on reconnaît dans les dialogues, un langage bigrassien qui révèle la parlure et l’écoute de l’auteur-compositeur-interprète qui a écrit son film comme une partition musicale: "Il y en a qui font de la musique de films, moi j’ai fait un film de musique; la musique, c’est mon arme principale."

Alexandre Castonguay renchérit: "Dan est habitué d’écrire selon un procédé. Tu sens qu’il se retient, se retient et se retient, et puis là, oh! il invente le personnage du pape (Pierre Lebeau), dont j’aimais l’analogie avec le Grand Antonio, avec lequel il peut les faire, ses hosties d’alexandrins! Il se paye la traite et c’est payant! Un film destiné à un large public dans lequel on retrouve des vers, je trouve ça l’fun et audacieux. À la première lecture, le personnage du pape m’a séduit, de même que tout le reste des dialogues."

Patrick Martin poursuit: "C’est pas des banalités qu’on dit! Les dialogues reflètent bien ce qui m’a marqué dans cet univers-là, c’est-à-dire que c’est un monde où il n’y a pas d’hypocrisie, les gens se disent les vraies choses. Même durant le tournage, on se disait qu’on devrait peut-être alléger parce que tout est vrai, tout est important dans les dialogues de Dan. À un moment donné, on s’est dit: "O.K., trouvons le quotidien là-dedans!" parce qu’on se disait que des vérités."

Et Dan Bigras de conclure modestement: "Je voulais simplement montrer le système de la rue. Je ne peux rien exorciser, un terme tout croche pour signifier qu’on fait sortir le démon, parce que souvent l’exorcisme a le résultat inverse, on ne tasse pas les choses vers l’extérieur, on les tasse en dedans. Je ne serais pas contre le fait d’exorciser, mais ça prend aussi la notion d’utilité avec ça, sinon, on se crosse avec de la souffrance, pis moi, j’ai pas de temps à perdre avec ça! Je suis un jouisseux, je baise, je mange, je fais du sport… j’aime ça vivre! Et je sais à quoi je sers!"

Film d’ouverture du Festival de cinéma des 3 Amériques
Le 29 mars à 20h
Au cinéma Place Charest