La Petite Jérusalem : La faute à Kant
Cinéma

La Petite Jérusalem : La faute à Kant

Dans La Petite Jérusalem, de Karin Albou, deux soeurs d’une modeste famille juive se questionnent sur l’amour et la sexualité. Rencontre avec la cinéaste et l’actrice Elsa Zylberstein.

Dans un quartier de Sarcelles, en banlieue de Paris, surnommé la Petite Jérusalem, Laura (Fanny Valette) remet en question son éducation juive en découvrant la philosophie de Kant – allant même jusqu’à adopter sa fameuse promenade -, au même moment où elle en pince pour un jeune musulman (Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre), au grand dam de sa mère (Sonia Tahar). Pendant ce temps, sa soeur aînée Mathilde (Elsa Zylberstein), qui n’a que le nom de son dieu sur les lèvres, découvre les infidélités de son rabbin de mari (Bruno Todeschini); elle ira confier sa peine à la femme du mikvé (Aurore Clément), qui lui fera découvrir les libertés que permet le judaïsme.

Rencontrée lors de son passage à Cinemania, Elsa Zylberstein confiait: "Je suis née d’une mère catholique et d’un père juif, mais je n’ai pas reçu d’éducation religieuse. Plus tard, j’ai un peu étudié le Talmud et la Torah, mais je ne crois pas que cela m’ait aidée pour ce rôle. En fait, comme nous avons tourné avec un petit budget à Sarcelles, c’est de se retrouver confinée dans un petit appartement avec cinq ou six enfants qui a beaucoup aidé au jeu. Ce qui était intéressant dans mon personnage, c’est qu’elle passe à côté de sa vie à cause de la religion qui devient presque une secte pour elle; elle a une certaine naïveté par rapport à la vie. Ceci dit, ce que j’aime du film de Karin Albou, c’est qu’il ne porte pas de jugement sur la religion."

De fait, La Petite Jérusalem nous dévoile même avec respect des aspects du judaïsme qui feraient l’envie de toute femme catholique élevée durant la Grande Noirceur. Plus encore, Karin Albou met l’accent davantage sur la sensualité de cette culture, notamment lors des scènes au mikvé, que sur sa sévérité généralement illustrée au cinéma: "Ce sont des Juifs d’Afrique du Nord, explique la réalisatrice croisée lors du FNC. Ils viennent d’anciennes colonies françaises où beaucoup de gens ont des prénoms français comme les deux soeurs dans les familles moins religieuses. On voit par le personnage de la mère qu’elle est moins religieuse que ses filles."

La mère ressemble davantage à une gitane, par son allure et ses superstitions, qu’à l’idée que l’on se fait de la mère traditionnelle juive.

"Les Juifs sépharades sont comme ça; comme ils ont vécu six siècles en Afrique du Nord, ils ont une culture nord-africaine très prononcée et ont des rites maghrébins très superstitieux."

En tentant de s’affranchir de sa religion et de ses rituels, Laura, qui ose quitter la table pendant le shabbat, s’emprisonne pourtant dans une autre mécanique, comme si elle n’arrivait pas à vivre sans rituel.

"Je voulais montrer que c’est une jeune fille en révolte contre sa famille et sa religion. Souvent, les adolescents qui veulent reproduire le contraire des autres reproduisent en fait la même chose. Je trouvais que c’était amusant de montrer que ce qui l’intéresse le plus, c’est la promenade de Kant plutôt que sa philosophie. Et puis ça montre qu’on a tous nos petites obsessions, comme ce bon vieux Kant qui devait aller se promener pour l’aider à penser, alors que les croyants ont besoin de prier pour être."

Malgré le côté festif qu’elle expose de la religion, force est de constater que les religions isolent les uns des autres, comme Laura et son amoureux musulman qui refusent de sacrifier leur religion ou de l’imposer à l’autre au nom de l’amour. Un constat triste sans cesse rappelé par les personnages qui se plaignent de souffrir d’isolement.

Ce sentiment de solitude, Albou le traduit dans sa façon de filmer; à l’intérieur, la caméra poursuit les protagonistes jusque dans les coins les plus sombres. Et lorsque l’on sort enfin de cet univers étouffant, il fait déjà nuit sur la banlieue. Même lors des nombreuses scènes familiales, parmi les plus confondantes de naturel, on sent très bien l’inconfort que ressentent les personnages les uns envers les autres. De dire Zylberstein: "Karin Albou me fait penser à Maurice Pialat, sous la direction duquel j’avais tourné Van Gogh. On retrouve beaucoup de scènes de repas dans le film. Elle est très précise, mais en même temps, elle est ouverte à l’improvisation. Parfois, elle peut aller jusqu’à 17 prises pour une scène. Heureusement, c’est le propre d’une actrice que de s’adapter."

Voir calendrier Cinéma