Barbiers – une histoire d'hommes : Des hommes d'histoires
Cinéma

Barbiers – une histoire d’hommes : Des hommes d’histoires

Barbiers – une histoire d’hommes illustre bien que le salon de barbier possède le pouvoir de délier les langues. Confessions du réalisateur Claude Demers et du barbier Michel "Rocco" Bilotto au pittoresque Mike’s Barber Shop.

Collé sur un mur jauni, un calendrier arbore les immenses seins d’une bombe sexuelle en maillot de bain. On ne remarque pas l’année ni le mois. Ce n’est pas ce qui importe, car Michel "Rocco" Bilotto, en attendant, assis près d’une table où il roule ses cigarettes, raconte comment il a pris de la force avec l’âge. "Plus jeune, dit-il, je ne pouvais pas plier mon engin sexuel en érection, mais je peux le faire maintenant avec deux doigts seulement."

Cela et bien d’autres histoires que déballent et chantent Normand Boisvert, Jacques "Butch" Boutin, Stefano Cella, Pasquale de Civita, Carlo Paventi, Bill Karras et son fils Louis. En tout, huit barbiers établis à Trois-Rivières, à Verdun et à Montréal, que Claude Demers a suivis pendant quelques mois. Tantôt ce sera le tohu-bohu des bavardages de quartier. Tantôt celui des débats politiques et sportifs ponctués de sacres bien sentis. Tantôt de banales conversations sur le temps qu’il fait ou le temps qui passe.

Dans son premier documentaire, le réalisateur de L’Invention de l’amour montre sans complaisance un monde typiquement masculin. Il a su se faire assez discret, afin de faire vivre et parler des hommes plus habitués à écouter qu’à se confier. Il y a quelque chose d’amusant dans leur complicité avec les clients et d’attachant dans cet esprit de camaraderie juvénile. "Ce fut ma plus belle expérience de cinéma. Ça a tout changé. J’ai tissé des liens. J’ai découvert des gens que j’aime. Ma plus grande angoisse a été que les barbiers n’aiment pas le film. S’il avait fallu qu’ils ne l’aiment pas, je n’aurais pas été à la hauteur de leur générosité", explique-t-il.

À l’évidence, M. Bilotto n’est pas en forme pour l’entrevue. D’habitude disert, révélera plus tard son fils écoutant plus loin, il raconte avec parcimonie comment il a commencé le métier en Italie à 14 ans, comment il est arrivé au Canada dans les années 60 et y a fait venir sa famille, comment il a acheté, voilà 35 ans, ce commerce de la rue Beaubien, mais tout cela n’a pas beaucoup d’importance aujourd’hui.

Alors il écoute. Il écoute Claude Demers parler de l’idée qu’il a eue il y a deux ans et demi: "Je me suis levé un matin en me disant que je ferais un film sur les barbiers. J’ai rencontré des hommes de 50, 60 et 70 ans qui travaillent sept jours sur sept. Je me suis rapproché d’eux et me suis rendu compte après coup que c’était un prétexte pour me rapprocher de mon père, un homme dévoué également, qui n’est pas barbier, mais qui parle peu."

Il y a dans le documentaire cette scène de silence entre deux vieux qui "ne parlent plus, ou alors seulement du bout des yeux". Demers se souvient: "Quand on avait fini de tourner, on pouvait parfois entendre le silence. Clic, clic. Et tout le monde se détendait. Il faut savoir écouter les silences, qui communiquent beaucoup de choses."

Sur le boulevard Saint-Laurent, les salons de coiffure branchés se multiplient, alors qu’ici, dans le district de Saint-Édouard, les barbiers sont nombreux, mais la plupart des établissements demeurent déserts. Les fauteuils capitonnés, les photos décolorées, les lames émoussées jetées à la poubelle témoignent d’un univers d’hommes presque révolu. Barbiers – une histoire d’hommes a réussi à le transmettre dans son humanité et, en cela, fait oeuvre de mémoire collective.

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