25e Festival du film d’Istanbul : C.R.A.Z.Y., La Neuvaine et les autres
Au 25e Festival du film d’Istanbul, le cinéma français était à l’honneur et le cinéma québécois a ravi bien des coeurs.
Berceau de la tulipe, renommée pour ses somptueuses soieries et ses tapis fabuleux, paradis du loukoum et autres délices, la Turquie s’enorgueillit, entre autres titres de gloire, de posséder l’une des plus vieilles célébrités du monde: Istanbul.
Elle fut Byzance, puis Constantinople. Elle est antique. Elle est moderne. Elle est l’Orient et l’Occident. Riche en palais et autres monuments témoins de ses 2500 ans d’histoire, Istanbul offre aussi, à chaque printemps, deux semaines de bonheur aux cinéphiles.
Ce bonheur a un nom: le Festival international du film d’Istanbul. Il est l’un des volets de la Fondation pour les arts et la culture d’Istanbul, structure privée créée en 1973 par un mécène istanbuliote immensément fortuné et vouée à la diffusion de la musique classique, du jazz, du cinéma, du théâtre et des arts visuels.
Le Festival du film célébrait cette année son 25e anniversaire. Sous la houlette de sa directrice Hülya Uçansu, il a acquis, en un petit quart de siècle, une enviable réputation mondiale. Aussi est-il très bien fréquenté. Son jury international, présidé par le réalisateur français Jean-Paul Rappeneau (Cyrano de Bergerac), en fait foi.
La Fondation pour les arts et la culture, en association avec la France, lançait cette année le "Printemps français d’Istanbul". Pour citer le président Jacques Chirac: "[…] c’est la France d’aujourd’hui et de toujours qui se rendra à la rencontre du grand public turc. Cinéastes, écrivains, danseurs, musiciens, universitaires, sportifs, scientifiques ou entrepreneurs, à travers eux, c’est toute la diversité française qui s’épanouira au fil de manifestations qui seront autant d’échanges et de dialogues." Précisons que la France maintient en Turquie une présence considérable. Elle y entretient soixante professeurs répartis dans cinq lycées et deux universités. Combat de David contre Goliath? Dans les rues, les commerces, la langue de Shakespeare a nettement pris le pas sur celle de Molière. On peut rêver!
L’Institut français d’Istanbul, centre des activités culturelles, est installé dans un beau bâtiment – une ancienne léproserie restaurée – dans le quartier de Beyoglu, au coeur de la ville nouvelle. Doté d’une salle de projection, il est intimement associé aux activités du Festival.
L’heureuse conjonction des printemps, les 25 du Festival et celui de la France, a fait le bonheur des festivaliers. Beau cadeau d’anniversaire, trois icônes du cinéma français ont honoré le Festival de leur présence: Catherine Deneuve, Gérard Depardieu et Jeanne Moreau. C’est ainsi qu’arrivée le 7 avril à Istanbul, le 8 au matin j’étais conviée à une croisière sur le Bosphore en l’honneur de Jeanne Moreau, interprète du Temps qui reste de François Ozon, projeté au Festival. Navigation entre deux continents. Sur une rive, l’Europe, sur l’autre, l’Asie. La pluie persistante n’altère pas le sourire de la Grande Jeanne. Modèle de simplicité, de grâce et de gentillesse, Madame Moreau se réjouit de son prochain séjour au Québec. "Je viens très bientôt pour un tournage. Je jouerai – m’a-t-elle confié – dans Roméo et Juliette, film d’un jeune réalisateur dont j’ai beaucoup aimé le scénario." Nous nous réjouissons avec elle.
Au programme cette année: 219 films représentant 42 pays ont été projetés dans les 7 salles de cinéma du Festival. Et parmi cette sélection, les cinémas du Québec et du Canada avaient la part belle avec les 9 longs métrages suivants:
Léolo de Jean-Claude Lauzon; La Neuvaine de Bernard Émond; C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée; My Dad Is 100 Years Old de Guy Maddin; Where the Truth Lies d’Atom Egoyan; Water de Deepa Mehta; Lie With Me de Clement Virgo; Metal: A Headbanger’s Journey de Sam Dunn, Scot McFadyen et Jessica Joyce Wise; Midnight Movies: From the Margin to the Main Stream de Stuart Samuels. À cela s’ajoutaient quatre coproductions minoritairement canadiennes dont Snow Cake de Marc Evans, un mélodrame qui fit l’ouverture du dernier Festival de Berlin. Porté par Sigourney Weaver, méritoire quoique peu crédible dans son rôle de femme autiste obsédée de propreté et de trampoline, le film souffre d’un scénario cousu d’invraisemblances et d’une forme très conventionnelle. Il fut très mollement applaudi.
Nos films ont été bien reçus. Chaque projection a fait son plein de spectateurs. Et le gagnant fut… une fois de plus C.R.A.Z.Y., présenté en gala. Cette oeuvre résolument ancrée dans son milieu franchit bien les frontières. Une salle comble et ravie a applaudi à tout rompre. Répondant aux questions avec aisance et un professionnalisme remarquable, le réalisateur Jean-Marc Vallée a gagné son public, vantant les charmes de la ville et confiant qu’il avait mangé au déjeuner le poisson de sa vie. Vendu en Turquie, le film doit sortir en salle dans quelques semaines.
C’est au film de Michael Winterbottom, Tristram Shandy: A Cock and a Bull Story, qu’est allé le prix de la compétition internationale, la Tulipe d’Or.
La section nationale présentait huit longs métrages turcs en compétition et était dotée de son propre jury. Une sélection variée particulièrement intéressante pour le spectateur étranger. Times and Winds de Reha Erdem, consacré meilleur film de l’année, est d’une grande beauté et d’une sobriété accomplie dans sa description de la vie quotidienne des habitants d’un village éloigné du Sud-Est du pays. Two Girls de Kutlug Ataman, lauréat du prix du meilleur réalisateur de l’année, dans un registre tout à fait différent, décrit avec talent la révolte de deux jeunes filles tentant d’échapper à leur milieu. Deux oeuvres qui seront peut-être au programme de l’un de nos abondants festivals.
Que de regrets en quittant Istanbul. Hérissée de minarets, coiffée de la multitude de dômes de ses mosquées, la ville de 15 millions d’habitants recèle tant de merveilles qu’on refuse de lui dire adieu. Ville-monde où se côtoient jeunes femmes portant foulard et long manteau dissimulant leurs formes et jeunes filles en tenues légères, victimes de la mode du nombril au vent, et où, quand tombe la nuit, le chant du muezzin est couvert par les sonos qui tonitruent de toutes parts: Istanbul est tout cela. Elle court, elle bouge. Un million d’êtres humains foulent quotidiennement l’artère piétonnière de la ville nouvelle. Ses monuments sont ses chefs-d’oeuvre. Aya Sofia, au glorieux passé chrétien, convertie en mosquée et désormais musée, le célèbre palais Topkapi, son poignard incrusté de sublimes émeraudes (Jules Dassin en fit le sujet de son film éponyme avec Melina Mercouri) et son diamant de 86 carats: autant de trésors inestimables uniques au monde. Istanbul, à voir et à revoir.