Le Couperet : Serial chômeur
Dans Le Couperet, de Costa-Gavras, José Garcia trouve un moyen draconien de retourner sur le marché du travail. Entretien avec le grand réalisateur lors de son passage à Montréal.
Quiconque aimant son emploi – ou tenant à le garder – sera sans doute troublé par la noire réalité que dépeint avec un ironie rafraîchissante Costa-Gavras dans Le Couperet. C’est à la suggestion de son coscénariste d’Amen, Jean-Claude Grumberg, que Costa-Gavras a eu l’idée d’adapter à l’écran le roman de "social-fiction" de Donald E. Westlake (Ordo): "Depuis récemment en Europe, nous connaissons de graves problèmes de chômage, d’expliquer le réalisateur engagé qui signa les brillants Z, L’Aveu et Missing. Nous assistons graduellement à la disparition de la classe moyenne alors que les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent. Par son humour et son aspect thriller, je croyais que ce roman serait une bonne façon d’aborder ce sujet encore délicat en France, où j’habite depuis 50 ans. Évidemment, comme le sujet faisait peur aux distributeurs, le film a été tourné de façon modeste – c’est-à-dire que ni le réalisateur ni l’acteur principal n’ont eu droit à leur caravane!"
Incapable de se trouver un emploi plusieurs mois après sa mise à pied, un ancien cadre de l’industrie du papier (impeccable José Garcia, en qui Costa-Gavras a reconnu le Jack Lemmon de Missing) décide d’éliminer un à un tous les candidats susceptibles d’être embauchés avant lui. Pendant que sa femme (Karin Viard, très efficace) s’humilie à exécuter différents petits boulots, notre homme s’enfonce dans le crime et le mensonge en rêvant d’avoir la tête d’un important cadre d’une papeterie (Olivier Gourmet, rigolo).
Plus près du satirique To Die For de Gus Van Sant que du tragique L’Emploi du temps de Laurent Cantet, Le Couperet se révèle une fable amorale jouissive dont la mécanique, diablement bien huilée, nous entraîne à suivre aveuglément la lutte du sympathique protagoniste envers une société hostile où la solidarité n’a plus sa raison d’être. Toutefois, le malaise s’installe en nous lorsque ce dernier tue de sang-froid, d’autant plus quand il rencontre ses proies (dont le touchant Ulrich Tukur). Nous le suivrons dans l’espoir qu’il s’arrête, mais effet pervers de l’identification, nous souhaiterons aussi qu’il parvienne à ses fins. Et c’est là que réside toute la force de ce film qui ébranle nos convictions morales et éthiques sans oublier de nous faire rire et de nous faire passer par toute une gamme d’émotions.
Pourquoi avez-vous transposé l’action en Europe?
"Je trouvais important de traiter de notre société, basée sur un système que l’on pourrait appeler capitalisme agressif, qui est de plus en plus individualiste. De plus, je ne voulais pas d’un personnage comme l’on en retrouve dans le cinéma américain. Dans le roman, cet homme tue au départ par besoin, mais plus il tue, plus il y prend du plaisir. Je refusais que mon personnage franchisse cette ligne; je trouvais plus troublant de le présenter comme une bonne personne et non comme un véritable serial-killer, permettant ainsi au spectateur de s’y identifier plus facilement et ensuite de réfléchir aux actes qu’il pose."
Cela vous permettait aussi de montrer les différents visages de l’Europe…
"Vous savez, à part les différences linguistiques, les visages de l’Europe sont de plus en plus pareils. Partout, vous trouverez les mêmes maisons… en plus de la même monnaie."
Sauf chez les Anglais…
"Ah! Les Anglais… ils se plaisent toujours à faire le contraire de ce que font les Français (rires)."
On retrouve dans Le Couperet plusieurs panneaux publicitaires de Toscani (qui signa des pubs pour Benetton), lesquels déshumanisent le corps de la femme, vouliez-vous signifier que cette société individualiste est également sexiste?
"Je pense que ce sexisme est organiquement intrinsèque à notre société. Regardez comment réagit le personnage de la jeune fille à l’arrivée des policiers: plutôt que de les distraire par l’esprit, elle choisit d’exhiber ses charmes."
Les jeunes Français, qui représentent 23 % des chômeurs, sont récemment descendus dans la rue pour lutter contre le CPE, croyez-vous que leur avenir est aussi noir que semble l’annoncer votre film?
"En 1968, lorsque les jeunes sont grimpés aux barricades, ils blâmaient que notre société allait bientôt se résumer à "Métro, boulot, dodo". Et ils ont eu raison. Pour moi, qui suis modérément optimiste, que les jeunes d’aujourd’hui descendent dans la rue afin de faire valoir leurs droits prouve qu’il y a encore de la place pour l’espoir."
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