FFM Benoît Pilon : Nestor le conquérant
Au FFM, Benoît Pilon présentera Nestor et les oubliés où il s’intéresse aux orphelins d’Huberdeau. Rencontre avec celui qui nous a offert le magnifique Roger Toupin, épicier variété.
Des années 30 aux années 60, des milliers d’enfants nés hors mariage ont été confiés aux communautés religieuses. Au début des années 90, ces orphelins, regroupés sous l’appellation "orphelins de Duplessis", se mobilisent pour réclamer excuses et indemnisation. Joignent leurs rangs les orphelins d’Huberdeau. Le 30 juin 2001, les orphelins de Duplessis acceptent l’offre d’indemnisation du gouvernement Landry, laquelle comprend une compensation de 25 000 $ par personne. Quant aux orphelins d’Huberdeau, ils ne reçoivent rien sous prétexte qu’ils ont grandi dans un orphelinat agricole, alors que ceux de Duplessis ont été faussement étiquetés malades mentaux et internés dans des asiles psychiatriques.
Devant l’indifférence du cardinal Jean-Claude Turcotte, qui leur suggère de pardonner aux Frères de la Miséricorde qu’ils accusent d’abus sexuels, le refus de la procureure Estelle Gravel de porter ces accusations, sous prétexte qu’elle doute de certaines de ces accusations, les orphelins d’Huberdeau n’ont pourtant pas baissé les bras. Parmi eux, Louis-Joseph Hébert, alias le flamboyant Nestor, que Benoît Pilon a rencontré lors du tournage de Roger Toupin, épicier variété, qui se bat avec ses frères de crèche afin d’obtenir, au-delà des excuses et de l’argent, la reconnaissance du gouvernement et de l’Église catholique.
Vos documentaires précédents, Rosaire et la Petite-Nation et Roger Toupin, épicier variété, semblent démontrer une fascination pour la religion.
"En fait, je ne suis pas fasciné par la religion. Pour moi, c’est davantage la trace, la mémoire de quelque chose qui vit encore aujourd’hui et qui était très important hier, et non pas un désir de faire un film sur la religion. Depuis la Révolution tranquille, on a voulu faire comme si la religion ou son influence sur la société québécoise n’avait jamais existé; je m’excuse, mais tu ne peux pas effacer 300 ans d’histoire comme ça! Qu’elle soit positive ou négative, il y a certainement une empreinte sur la société québécoise dont on parle très peu, sauf dans l’ordre de la caricature ou du cynisme – à l’exception de Bernard Émond qui l’illustre positivement dans le très beau film La Neuvaine."
Comment approche-t-on un sujet aussi délicat que la pédophilie?
"L’un des défis ultimes, c’était de ne pas tomber dans le pathos lourd, mais de rendre hommage à ce que ces enfants sont devenus, à ce qu’ils ont vécu…, de dire ces choses-là. On avait plusieurs témoignages, mais on ne voulait pas faire l’étalage de chacun, car à un moment donné, on comprend que ce que l’un raconte ressemble à ce qu’un autre a vécu. Je ne voulais pas créer de malaise et m’empêcher de revenir à des trucs plus légers, comme Nestor se baladant en vélo. C’est important pour moi de garder un équilibre entre ce qui est drôle, touchant, émouvant et de ne pas forcer la dose. Je suis un spectateur exigeant d’abord et, comme bien des cinéastes, j’essaie de faire les films que j’aimerais voir."
Vous sentiez-vous dépassé par moments par votre le sujet?
"Tout le long du film, je me demandais ce qu’ils auraient été; c’est des vies "scrappées"! Je voulais faire quelque chose de positif, rendre hommage à la résilience, à la force de l’être humain. Je voulais qu’on sente cette dignité-là dans toute cette horreur. Nestor est un être lumineux qui s’est construit un personnage théâtral et je trouvais très beau de le voir avec son frère de crèche, Émile, qui est du côté de l’ombre. Ma relation avec ces gens n’est pas du type "Ah! Pauvres eux autres!" Au contraire, on rit, on fait des blagues, on a du fun. Évidemment, lorsqu’ils confient des trucs troublants, Émile par exemple, ça change, mais tout de suite après, ils sont contents d’en avoir parlé. Alors on reste là-dessus et non sur ce qu’ils viennent de dire. Je ne me sens pas tout croche d’avoir entendu ça, car je ne suis pas avec l’Émile d’hier, mais celui d’aujourd’hui."
Croyez-vous que votre film puisse changer quelque chose?
"Il y a bien des questions à se poser sur la religion catholique, sur le célibat des prêtres. Je trouve ça facile de lancer la pierre seulement aux frères sans considérer le système, les règles de gouvernance. Pourrait-on aujourd’hui, en tant que société, reconnaître ce qu’on leur a fait, sans porter d’accusation? En s’occupant de ces gens-là, c’est de reconnaître le passé et les erreurs du Québec. Je ne crois pas beaucoup que Nestor et les oubliés change quelque chose et je n’ai pas fait le film pour ça. Ce n’est pas un film dénonciateur qui s’adresse aux politiciens, mais si ça crée un débat social, tant mieux!"
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Au FFM les 28 et 29 août
Au Clap dès le 1er septembre
Au Parallèle dès le 8 septembre