Nuit noire, 17 octobre 1961 : Crise d'octobre
Cinéma

Nuit noire, 17 octobre 1961 : Crise d’octobre

Dans Nuit noire, 17 octobre 1961, Alain Tasma dévoile une page d’histoire française demeurée longtemps taboue. Rencontre avec le cinéaste lors de son passage au Festival du nouveau cinéma.

Le 17 octobre 1961 est une date que la France a tenté d’oublier jusqu’aux années 80, au moment où le romancier Didier Daeninckx publie Meurtres pour mémoires et que les journalistes du Monde et de Libération rappellent aux Français cette page sombre de leur histoire. Cette nuit-là, à la demande du FLN, 30 000 Algériens ont marché sur Paris. Leur manifestation pacifique tourna rapidement au drame. Suivant les ordres du préfet Papon (Thierry Fortineau) et de son bras droit Somveille (Aurélien Recoing), les gendarmes procédèrent à des milliers d’arrestations. Plusieurs cadavres ont été repêchés dans la Seine les jours suivants. On estime que quelque 200 Algériens ont perdu la vie cette nuit-là: "Pour un coup reçu, vous en rendrez dix, dans tous les cas vous serez couverts", aurait lancé Papon à ses troupes.

D’abord destiné à la télévision puis distribué en salles, Nuit noire, 17 octobre 1961 d’Alain Tasma, réalisateur d’une vingtaine de téléfilms, s’inscrit dans la lignée des Bloody Sunday de Paul Greengrass et de La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo – le cinéaste ne cache d’ailleurs pas ses principales sources d’inspiration. Épousant grand nombre de points de vue pour un maximum d’objectivité, dont celui d’une journaliste (Clothilde Courau), d’un flic syndicaliste (Serge Riaboukine), d’un ouvrier algérien non militant (Atmen Kétif) et son neveu étudiant (Ouassini Embarek), ce puissant film choral bénéficie d’une réalisation fébrile, doublée d’un montage précis et d’une direction artistique méticuleuse, qui traduit brillamment les tensions de l’époque. Ayant longtemps ignoré cette nuit fatale, comme la plupart de ses concitoyens, Tasma signe pourtant une fresque ambitieuse d’un réalisme criant, aussi choquante par la violence qu’elle dénonce que bouleversante par les émotions et idéologies qu’elle véhicule. Magistral.

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Vous avez déjà avoué que vous n’aimiez pas le terme "film choral" et pourtant, c’est l’étiquette qu’on accole spontanément à votre film.

"Subitement en France, tout le monde s’est mis à faire des films choraux, et je trouvais ça un peu imprécis, artificiel. Pourtant, j’aime énormément ce principe de cinéma qui mène plusieurs destins. Patrick Rotman, le coscénariste qui est un spécialiste de la guerre d’Algérie, tenait dès le début à ce qu’il n’y ait pas qu’une seule vérité – et il avait tout à fait raison. Moi qui ne connaissais rien à cette époque, je n’aurais jamais fait le film sans lui. J’avais une totale confiance en son honnêteté et son intégrité. Des copains m’ont demandé comment je pouvais comparer une violence étatique à une violence de libération nationale, mais moi, je leur disais que ce qui m’intéressait, c’est la vie des individus. Je voulais montrer comment des hommes se font broyer par des idées… même si ces idées sont positives."

Comment expliquez-vous que cet événement ait été si longtemps occulté des cours d’histoire?

"C’est une attitude très française. Par exemple, on a appris extrêmement tard que la rafle du vel’d’hiv n’avait pas été faite par les Allemands mais bien par la police française en uniforme qui était allée chercher des familles juives pour les déporter. Lorsque de Gaulle arrive au pouvoir en 1946, il n’a de cesse de faire croire en cette idée d’une France unie dans la Résistance avec très peu de collaborateurs. On voit bien aujourd’hui que c’est une erreur d’avoir voulu bâtir un pays sur de telles bases, car la France a un vrai problème avec ses colonies; ça m’a scié de voir des jeunes Maghrébins siffler la Marseillaise lors d’un match France-Algérie."

Pourquoi avez-vous voulu rendre compte de cette nuit de 1961?

"Il y a vraiment un problème relationnel qui est lié à cette colonisation, qui s’est faite dans de mauvaises conditions; la France a encore un rapport trouble avec l’Afrique. Faire ce film-là, c’est une façon pour moi d’être citoyen. Ce sont les circonstances qui ont fait en sorte que je devais en parler à ce moment-là."

Qu’est-ce qui vous attirait spécialement dans ce projet?

" J’aime la prise de risque qu’il y avait dans ce film, c’est-à-dire de filmer de telle façon la violence, de montrer l’être humain qui déshumanise l’autre, le traite en animal pour ainsi le tuer sans remords. Ce n’était pas évident pour moi de recréer la vie dans les bidonvilles. J’étais entouré des conseillers de tous les camps parce que je me méfiais tout bêtement de mon regard de Blanc. Au fond, le plus dur, c’était de trouver toute la violence que nous avions en nous pour nous rapprocher de la vérité."

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