Nestor et les oubliés : Les perdants magnifiques
Cinéma

Nestor et les oubliés : Les perdants magnifiques

Dans Nestor et les oubliés, Benoît Pilon redonne la parole à Nestor, un orphelin d’Huberdeau au charisme indéniable croisé dans Roger Toupin, épicier variété.

Vous rappelez-vous Nestor? Dans le magnifique documentaire Roger Toupin, épicier variété, c’était ce flamboyant ex-motard à la crinière blanche qui venait prendre un café dans le commerce poussiéreux du timide marchand en s’exprimant avec une parlure sans pareille. Lors du tournage, Benoît Pilon s’était pris d’affection pour ce sexagénaire qui avait été victime d’abus sexuels dans sa jeunesse à l’orphelinat d’Huberdeau – au dire de Nestor, de son vrai nom Louis-Joseph Hébert, 29 des 32 frères qui y prenaient soin des jeunes garçons se livraient à des actes de pédophilie. Au moment du montage, le réalisateur a dû couper à contrecoeur les nombreuses interventions colorées de Nestor, puis, le sujet s’est imposé par lui-même; Pilon devait consacrer un film à cet homme et à la cause qu’il défend depuis une douzaine d’années, celles des orphelins d’Huberdeau.

Contrairement aux orphelins de Duplessis, internés dans des asiles psychiatriques selon de faux diagnostics et auxquels le gouvernement Landry a offert indemnisation et compensation, les orphelins d’Huberdeau, élevés dans un orphelinat agricole, n’ont toujours pas obtenu gain de cause. Et pourtant, de jeunes enfants ont souffert à l’époque: "Ils étaient d’une cruauté sans pitié", lancera à quelques reprises Nestor à propos des frères de la Miséricorde.

Si le sujet de Nestor et les oubliés se révèle encore plus délicat que ceux abordés dans Rosaire et la Petite-Nation et Roger Toupin, épicier variété, on y retrouve la sensibilité et le respect remarquables avec lesquels Pilon cerne ses personnages. Pas de place pour la complaisance, pour le sordide ni pour le misérabilisme. Lorsque Émile, frère de crèche de Nestor, relate sa troublante expérience, la caméra se fait discrète, ne cherchant pas à capter de larmes en gros plan. De même, Pilon n’accumule pas les témoignages des victimes inutilement. Seules quelques paroles et photos d’époque suffisent amplement à raconter le drame de ces vies brisées. Devant pareil sujet, on s’attendrait à voir un film triste, voire larmoyant, et pourtant, ce documentaire émouvant s’avère un hommage lumineux, humaniste et porteur d’espoir à de vénérables batailleurs: "Ils ont peut-être volé mon enfance, mais ils voleront pas ma vieillesse à passer ma vie à défendre la cause des orphelins", clamera fièrement Nestor à la toute fin.

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