Festival International du Film de Toronto – Semaine 2 : Échos de Toronto
Cinéma

Festival International du Film de Toronto – Semaine 2 : Échos de Toronto

Malgré une soirée d’ouverture glaciale, le Festival International du Film de Toronto se déroule en toute beauté, sans navet ou presque à l’horizon. Récapitulons.

Tel qu’il fallait s’y attendre, c’est par dizaines que les spectateurs quittaient la salle lors de la soirée d’ouverture où l’on a présenté The Journals of Knud Rasmussen de Zacharias Kunuk et Norman Cohn, directeur photo d’Atanarjuat. Certes, si ce film, qui rappelle à la fois Atanarjuat et le chef-d’oeuvre documentaire de Robert Flaherty, Nanook of the North, séduit par la splendeur de ses paysages et la sensualité de ses scènes oniriques, son rythme lent et sa structure laborieuse en font une oeuvre des plus barbantes. Si les organisateurs du TIFF voulaient absolument ouvrir avec un film canadien, c’est à Congorama, comédie dramatique drôle, intelligente et rafraîchissante de Philippe Falardeau, qu’aurait dû revenir cet honneur. Parlant de cinéma québécois, c’est bien triste d’entendre tous ces commentaires négatifs à propos de Cheech de Patrice Sauvé; on raconte entre autres que le film, poseur, ne rend pas justice à l’excellente pièce de François Létourneau. Meilleure chance la prochaine fois.

Si certains trouvent que la presse montréalaise exagère et semble trouver l’herbe plus verte à Toronto qu’au FFM, voyez un peu à quoi ressemble une journée typique au TIFF. Parmi les projections de vendredi, on pouvait choisir entre le percutant drame de guerre de Ken Loach, The Wind That Shakes the Barley, que le gracile Cillian Murphy est venu présenter lors d’une projection publique où il a généreusement répondu aux questions des spectateurs; After the Wedding, touchant drame de moeurs de Susanne Bier mettant en vedette le nouveau Viggo, Mads Mikkelsen, qui incarnera Le Chiffre dans Casino Royale; le très beau mais ô combien contemplatif Ilklimer de Nuri Bilge Ceylan; et le pétillant Volver de Pedro Almodovar. Y a pas à dire, les journalistes ont parfois des choix déchirants à faire…

Parmi les nouveaux noms à surveiller, retenons celui d’un tout jeune réalisateur anglais couronné du prix du meilleur premier long métrage au Festival d’Édimbourg, Paul Andrew Williams, dont le London to Brighton raconte l’histoire d’une prostituée (Lorraine Stanley) qui, à la demande de son souteneur (Johnny Harris), convainc une fugueuse de 11 ans (Georgia Groome) de satisfaire les caprices d’un riche client. L’affaire tournera très mal. Film à budget modeste, London to Brighton rappelle par sa violence et son univers des bas-fonds londoniens les films de gangsters de Guy Ritchie; toutefois, l’approche réaliste que privilégie Williams, de même que le regard humaniste qu’il pose sur ces laissés-pour-compte, le range du côté des Ken Loach et Mike Leigh.

Cheech de Patrice Sauvé

Du côté des vétérans, Alain Resnais (Coeurs) et Roger Michell (Venus) signent des films où émotions et rires font bon ménage. Film choral où l’on cherche vainement à combler sa solitude, Coeurs, composé de savoureuses et spirituelles répliques que défend un casting de rêve (dont Pierre Arditi, Sabine Azéma et André Dussollier), illustre avec finesse la solitude des êtres qui vieillissent en ayant l’impression d’avoir passé à côté de la vie. Dirigeant merveilleusement ses acteurs, Resnais signe une mise en scène fluide, épurée, un rien théâtrale, où les rafales de neige servent à ponctuer le récit et à souligner la mélancolie émanant de ce qui pourrait bien être la dernière oeuvre du grand réalisateur.

Pour sa part, Michell renoue avec le scénariste Hanif Kureishi (My Beautiful Launderette, Intimacy) en signant The Mother, un vibrant hommage aux comédiens dans une comédie dramatique très émouvante où le vénérable Peter O’Toole joue avec un réel bonheur un acteur qui s’éprend de la très jeune nièce de son vieil ami (la nouvelle venue Jodie Whittaker). Pervers? À peine puisque si l’on ne comprend pas toujours les motivations de cette Vénus de banlieue un tantinet tordue, on ne peut qu’être touché par la façon dont Michell illustre la solitude des vieillards. Un bel hymne à la vie qui s’en va.

Parmi les films à caractère social, celui qui remporte la palme est Indigènes de Rachid Bouchareb (Little Senegal), qui signe à la fois un grand film historique et une page d’histoire qui changera la société française et la façon dont on traite de la Seconde Guerre mondiale où, comme bien peu d’entre nous le savent, la France a envoyé 600 000 hommes issus de 23 de ses colonies pour défendre ses couleurs. Avec Indigènes, Bouchareb remédie à la situation en racontant les exploits de guerre de quatre Maghrébins (Roschdy Zem, Samy Naceri, Jamel Debbouze et Sami Bouajila) et de leur sergent-chef pied-noir (Bernard Blancan, lauréat avec ses quatre comparses du prix d’interprétation masculine à Cannes), dont les noms n’ont jamais paru dans les manuels d’histoire.

À la veille de sa sortie en France, le film est déjà un succès puisque le réalisateur et les acteurs le présentent en tournée depuis quelques semaines. Comme l’expliquait Bouchareb aux spectateurs qui ont chaudement applaudi son film: "Le débat s’ouvre en France et changera la société, mais ça prend du temps." Après avoir lancé l’appel à 12 000 profs d’histoire, l’équipe a rencontré Jacques Chirac qui a promis de payer la pension dont sont privés depuis 1959 ces héros oubliés: "On doit récrire l’histoire, toute l’histoire, pas qu’une histoire", a conclu le cinéaste.

Enfin, l’un des coups de coeur du festival est sans contredit l’excellent Little Children de Todd Field, qui, après avoir traité avec tact de l’auto-justice dans In the Bedroom d’après une nouvelle d’Andre Dubus, propose une adaptation sensible du roman de Tom Perrotta. Kate Winslet et Patrick Wilson (vu dans le remarquable téléfilm Angels in America) incarnent deux banlieusards mal mariés qui trouveront du réconfort dans les bras l’un de l’autre. Pendant ce temps, un homme accusé de grossière indécence devant des mineurs (Jack Earle Haley) est frappé d’ostracisme par ses voisins qui refusent de voir un tel individu dans leur quartier. Un film d’une rare finesse dont la mise en scène fluide récupère intelligemment ses origines romanesques. La suite du festival s’annonce bien prometteuse…