Sans elle : Avec eux…
Cinéma

Sans elle : Avec eux…

Dans Sans elle, le nouveau film de Jean Beaudin mettant en scène Karine Vanasse, le chevronné réalisateur dirige la talentueuse actrice dans les eaux troubles du deuil, de la folie et de la poésie. Double rencontre.

Florence. Une jeune fille (Karine Vanasse) déambule à travers les corridors muséaux ornés d’oeuvres magistrales. Tout semble tranquille. Puis, soudain, c’est le choc, la crise. Et, lentement, la descente aux enfers. Victime du syndrome du Stendhal, mal faisant perdre à la victime contact avec la réalité, Camille est rapatriée au Québec. Confrontée à une réalité qu’elle a trop longtemps cherché à fuir, elle entreprendra dès lors un voyage initiatique qui l’entraînera jusqu’aux Îles-de-la-Madeleine et, parallèlement, jusqu’aux limites de la réalité…

AVEC ELLE

Pour certains, les mots gloire, succès et box-office sont synonymes d’euphorie et de satisfaction. Pour Karine Vanasse, ils sont surtout générateurs d’appréhension et de remise en question. Après avoir fréquenté les stars hollywoodiennes dans Head in the Clouds de John Duigan, puis crevé l’écran dans le Séraphin de Charles Binamé, l’actrice, révélée il y a de cela 8 ans grâce à son (superbe) rôle dans l’Emporte-Moi de Léa Pool, avait envie de renouer avec ses premières amours: "Sans elle est arrivé après Séraphin, juste avant que je parte pour quelque temps à New York. Jean m’avait rencontrée, en me disant qu’il n’était pas sûr que le projet passe au financement, mais que Joanne (Arseneau, scénariste) et lui avaient pensé à moi pour le rôle de Camille. Dès que j’ai lu la première version du scénario, j’ai su que si le film passait, je voulais le faire. Après Séraphin, j’avais peur de tomber…ça avait été tellement populaire! J’avais peur que les gens se disent que j’avais soudain un ego qui m’empêcherait d’embarquer dans leur trip. Mais Sans elle, je l’ai vécu comme j’avais vécu Emporte-Moi, c’est-à-dire que je n’avais pas l’impression de tourner un film destiné à faire un box-office. C’était une rencontre de réal, un projet de scénariste, qui m’ont permis d’embarquer dans un autre univers. Ça m’a rassurée, dans le sens où je me suis dit: "Parfait! Vous pouvez me prendre, me défaire, et m’emmener ailleurs…""

Cet ailleurs où Karine emmène son personnage, ou plutôt où son personnage l’emmène, elle, ce sont les frontières de la mort, et les confins de la folie, rien de moins. Quand on lui demande comment elle a psychologiquement vécu le processus de création d’un rôle aussi poignant, l’actrice se met à rire, surprise: "C’est vraiment ça que l’on ressent?! Sincèrement, sur le plan émotionnel, ça a été moins difficile que sur le plan physique. Le tournage a eu lieu en automne. En été, les Îles-de-la-Madeleine, c’est léger. Mais en automne, quand tu parles, t’es obligé de crier; il y a la mer, le sable, le vent, le froid…Pour ce qui est du rôle, Camille, c’est un personnage qui m’a beaucoup touchée. Instantanément. Elle est tellement perdue que la moindre des choses, c’est d’essayer de la saisir un peu. Tomber dans l’extrême, puis en ressortir aussi rapidement, c’est ce que je recherche, ce que Jean m’a permis de faire…"

AVEC LUI

Suspense, fresque historique, séries télévisées… La filmographie de Jean Beaudin compte presque autant de genres que d’oeuvres. Sans elle est un ajout de plus à chacune de ces listes respectives. Et, aux dires du principal intéressé, il s’agit d’un ajout de taille: "C’est un film qui me ressemble énormément. Depuis 35, 40 ans, j’ai fait beaucoup de films sur le couple. Cher Théo, c’était deux femmes dans une chambre à coucher. J.A. Martin, un homme et une femme dans une charrette. Mario, deux tits-culs dans un carré de sable…Mais Sans elle, c’est le film le plus achevé que j’aie fait. C’est aussi le plus complexe, car il touche à des choses très dures: la mort, le deuil, la folie, mais aussi toute la question de cette nécessité que l’on a de tout arrêter dans la vie quand la douleur est trop grande pour que l’on puisse y faire face. J’ai essayé d’éviter les écarts, d’éviter de tomber dans les clichés de la folie, les stéréotypes de la mort morbide. J’ai aussi tenté de travailler avec trois niveaux de lecture: la réalité, la poésie et l’imaginaire. La difficulté, ça a été d’homogénéiser tout cela. C’est un film qui demande un certain effort, ou, au contraire, aucun effort. Soit on tente de le comprendre, soit on le subit. Il y a un choix à faire. Ce qui est important pour moi, c’est que ça coule…"

La thématique de l’eau, son symbole et sa présence, sont d’ailleurs au coeur de l’oeuvre. "Tout vient de l’eau. L’eau, c’est la tempête, la puissance, la force, le danger. C’est pourquoi la mer que j’essaye de montrer prend autant de formes: envahissante, calme… On peut y naître, en émerger, c’est une enveloppe…" Le choix des Îles-de-la-Madeleine comme environnement n’est pas non plus sans avoir une consonance poétique: "Les Îles, c’est l’absolu, c’est l’absence de tout. Aux Îles, il n’y a rien; c’est la terre, l’herbe, la mer et le ciel. Rien d’autre. Il n’y a pas de place pour fuir, pour échapper à la force des éléments. C’est un lieu qui définissait parfaitement l’état psychologique du personnage." Lorsque interrogé sur le public ciblé par Sans elle, Jean Beaudin affirme n’y avoir jamais vraiment pensé. Après réflexion, il atteste que les sujets abordés étant tabous dans notre société occidentale, les réactions risquent d’aller de la peur à la curiosité: "Il y a beaucoup de gens qui ont peur de la folie, de la mort. Ils ne veulent pas en parler, vont même jusqu’à faire semblant que cela n’existe pas." Et justement, qu’en est-il du message qu’il a souhaité livrer en parlant de ces sujets? "Un message?, s’exclame-t-il en riant, j’espère qu’il n’y en a pas! Je ne veux pas qu’il y en ait un! J’ai assez fait de cinéma didactique, je ne veux plus en faire! Les années 60, c’est fini!"