Black Eyed Dog : Chienne de vie
Cinéma

Black Eyed Dog : Chienne de vie

Avec Black Eyed Dog (Simplement Betty en v.f. sous-titrée), Pierre Gang offre un portrait sombre et oppressant de ces petites villes où rien ne semble se passer, mais où tout peut arriver. Rencontre avec le réalisateur de ce drame canadien aux accents universels.

Riverton, Nouveau-Brunswick. Une petite ville comme il y en a tant d’autres. Une petite ville où, l’ennui étant très difficile à tuer, les comportements extrêmes acquièrent rapidement une aura de rédemption. C’est là que Betty (bouleversante Sonya Salomaa), aspirante chanteuse et fan invétérée de Joni Mitchell, subit son existence et sert des assiettes au snack-bar local, "en attendant". En attendant l’amour, en attendant la gloire, mais surtout en attendant de partir. Car s’il est vrai que partir, c’est mourir un peu, pour les personnages de Black Eyed Dog, rester, c’est mourir bien davantage… Il suffit de voir Wayne (intense David Boutin), l’ex-petit ami psychotique de Betty, qui, à part boire et se servir de ses poings, n’est pas apte à faire grand-chose. Ou encore Carol (correcte Nadia Litz), soeur de l’héroïne, qui se vante d’une augmentation de six cennes de l’heure, tout en entrecoupant ses propos de récriminations brutales à l’égard de son fils, un petit garçon mulâtre qui ne dit mot, mais qui porte dans son regard toute la douleur d’être le fruit (visible) d’une aventure de passage de sa mère frustrée.

Rencontré à l’occasion de la présentation de son film au FFM, le réalisateur Pierre Gang racontait l’histoire du tournage de ce récit, né de la plume du jeune Jeremy John Bouchard. Un récit qui traduirait en paroles et en images une expérience vécue par Gang lui-même? "Non, pas du tout! Je suis un gars de Montréal! Mais qui n’a jamais rêvé de partir? Cela prend du courage, et ce n’est pas tout le monde qui en possède. Moi qui suis parti en France à 25 ans, j’ai vite réalisé que je n’en avais pas assez. Mais je pense que tout le monde, à un moment donné, veut faire autre chose de sa vie. Et dans Black Eyed Dog, TOUS les personnages ont imaginé leur vie autrement…"

Mais bien qu’aucun de ses (anti-)héros ne semble avoir trouvé ne serait-ce qu’une parcelle de bonheur, Gang se défend bien d’avoir fait une oeuvre aux visées pessimistes. Malgré la lourdeur de l’atmosphère, malgré la violence non seulement des actes, mais aussi des paroles prononcées dans son film, le réalisateur insiste sur le côté positif de l’ensemble, faisant même remarquer qu’à la lecture du texte, il n’en avait pas tout de suite décelé la dureté: "Jeremy s’est servi de dialogues comiques pour illustrer une situation plus heavy. Moi-même, j’ai d’abord davantage vu l’humour." Le côté burlesque, Gang a finalement préféré l’employer par petites doses, le parsemant ici et là grâce à des clins d’oeil qu’il a personnellement trouvés marrants: "Le personnage de Janet, la cheerleader, était décrit comme une belle fille, mais je trouvais ça plus drôle de prendre la petite boulotte du coin qui surfe encore sur ses années de collège. Même chose pour le petit garçon mulâtre. C’est mon petit côté canadian, "vive le multiculturalisme"… La vieille dame qui se fait tabasser dans une des scènes finales était censée être incarnée par une cascadeuse. Finalement, on a eu une vraie "dame d’un certain âge", une genre de "Kathy Bates de la Nouvelle-Écosse". C’était tellement plus tripant!"

"Tripant", voilà bien un mot que le réalisateur emploie à répétition afin de décrire son processus de création, surtout en ce qui concerne sa collaboration avec les acteurs, dont il a réussi à rassembler une brochette des plus impressionnantes: "James Hyndman (qui incarne le rôle d’un mystérieux étranger venu enquêter sur le tueur en série qui sévit à Riverton) était à bord depuis le début, parce qu’il "fittait" dans le rôle de "l’étrange". C’était clair aussi que je voulais David Boutin, qui a fait une job extraordinaire. Il est vraiment sans mesure! Brendan Fletcher (qui personnifie le frère opprimé de Boutin), c’est un cadeau, c’est notre petite vedette. Et Sonia, ça a été le coup de foudre!"

Au dire de Gang, Black Eyed Dog est d’ailleurs davantage un film de personnages que d’images. Au risque de lui faire plaisir (sic!), on objectera que les images que l’on garde de son deuxième long métrage sont aussi poignantes que ceux qui les matérialisent…

CV

Dès 1986, ce réalisateur montréalais a commencé à bâtir une filmographie éclectique, alternant entre les moyens métrages (Martha l’immortelle), les téléfilms (The Legend of Sleepy Hollow) et les séries dramatiques (L’Îlot de Lili, Samuel et la mer et les très populaires More Tales of the City et Further Tales of the City, adaptation des célèbres Chroniques de San Francisco d’Armistead Maupin). More Tales of the City a d’ailleurs remporté cinq nominations aux Emmy Awards et deux nominations aux Gemini Awards.

Après Sous-sol, mettant en vedette Louise Portal et Patrice Grondin, et récompensé par le Génie du meilleur scénario original en 1996, Gang revient vers le long métrage avec Black Eyed Dog, coproduction Québec-Nouveau-Brunswick présentée cette année en première mondiale au Festival de Locarno.

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