The Last King of Scotland : Qui a peur d’Idi Amin?
The Last King of Scotland, de Kevin Macdonald, s’inspire du roman de Giles Foden pour dépeindre la relation de pouvoir qui s’établit entre Idi Amin et son jeune médecin écossais. Rencontre avec le réalisateur, Forest Whitaker et James McAvoy lors du Festival International du Film de Toronto.
Après avoir accumulé de nombreux prix internationaux grâce à deux documentaires chocs, One Day in September et Touching the Void, le réalisateur écossais Kevin Macdonald a trouvé dans un roman Giles Foden, lui-même inondé de prix, le sujet parfait pour tourner son premier film de fiction. Une oeuvre qui raconte la descente aux enfers de Nicholas Garrigan, un jeune médecin (un personnage entièrement inventé, joué avec conviction par James McAvoy) qui débarque en Ouganda en 1970 pour travailler dans une clinique de campagne où il compte "faire une différence".
Son arrivée au pays coïncide avec le coup d’État qui permet l’accession au pouvoir du général Idi Amin Dada (Forest Whitaker, dans une performance à couper le souffle). Après avoir assisté à un discours enflammé de cet homme qui promet à son peuple liberté et prospérité, le naïf Nicholas devient son médecin personnel et, accessoirement, son conseiller. Aussi bien dire qu’il signe un pacte avec le diable. Aspiré dans le cercle intime du dictateur sans en comprendre vraiment les rouages, le jeune étranger deviendra malgré lui un des instruments, puis une victime, de la répression sanglante de ce régime.
Après avoir habilement employé certaines règles fondamentales de la fiction dans ses documentaires afin d’en nourrir la tension dramatique, Macdonald fait le contraire avec The Last King of Scotland, utilisant cette fois son sens du détail réaliste et percutant de documentariste pour tirer le maximum d’impact de ce thriller politique à haute tension. Le résultat est captivant de bout en bout. (M.G.)
Bien qu’il ait régné sur l’Ouganda en monstre sanguinaire de 1971 à 1979, provoquant notamment la mort de 300 000 personnes, Idi Amin mourut le 16 août 2003 sans avoir payé pour ses horribles crimes. Encore aujourd’hui, certains donneraient le bon Dieu sans confession à celui que l’on surnomma le Boucher de l’Afrique. Forest Whitaker tente une explication: "Si mon personnage paraît par moments plus sympathique que celui de James, inspiré de trois personnes réelles, c’est qu’il est très complexe. C’était un bon vivant, très charmeur, ayant de l’humour, mais c’était aussi quelqu’un de très paranoïaque, plein de tristesse et de rage. C’est notamment à cause de son grand pouvoir de séduction qu’il a réussi à berner tant de gens et de journalistes, qui se sont notamment plus à promouvoir cette image de grand enfant inoffensif d’Idi Amin."
Kevin Macdonald poursuit: "Cette image vient du présentateur de nouvelles anglais John Snow, qui a été l’un des premiers correspondants en Ouganda. Aujourd’hui, il se sent encore coupable d’avoir entretenu une relation amicale avec Amin, dont il était devenu le journaliste préféré. Afin de mousser sa carrière, il donnait au public, qui s’en régalait, des images d’Amin faisant la fête. Snow, qui a notamment servi de modèle à Garrigan, avait eu vent de ce qui se passait, mais n’y prêtait pas tant d’importance."
Ayant rencontré John Snow, James McAvoy abonde dans le même sens: "Au moment où la presse anglaise a su ce qui se passait réellement, elle a décidé de ne pas en parler afin de continuer à vendre de la copie. On a donc continué à le montrer comme un bouffon. Pour la préparation de mon personnage, Kevin ne voulait pas que je fasse trop de recherches afin de préserver une certaine innocence. Lorsque j’ai rencontré John Snow, il m’a dit qu’il avait eu l’impression que la Grande-Bretagne et la presse avaient échoué dans leur relation avec les Ougandais. Il regrettait d’avoir attendu des années afin de faire éclater la vérité au grand jour."
C’est ainsi que dans les années 70, l’image de bouffon pittoresque a marqué l’imaginaire du monde entier: "Lorsque j’étais jeune, se souvient Whitaker, né au Texas, Idi Amin n’était qu’un général orné de médailles; ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai compris ce qu’il avait été. Ce rôle m’a demandé énormément de préparation; j’ai dû apprendre à danser et à parler le swahili. J’ai dû aussi faire des tonnes et des tonnes de recherches sur Idi Amin; j’ai même rencontré des membres de sa famille. Kevin a vraiment eu confiance en moi durant les huit semaines de tournage. Cela dit, je suis satisfait du film de Kevin, car il ne tente pas du tout de "glamouriser" la vie d’Idi Amin."
Pour Kevin Macdonald, qui se rappelle qu’Amin représentait le boogie man dans sa jeunesse, il était important de raconter cette histoire qui, selon lui, dépasse les frontières de l’Afrique: "J’étais intéressé par cette histoire parce qu’Amin était un personnage si particulier, mais aussi parce que cette histoire aurait très bien pu se passer ailleurs qu’en Afrique. Il s’agit en fait d’un récit sur la corruption qu’entraîne le pouvoir, sur la naïveté de la jeunesse et la morale flexible que l’on peut avoir lorsque la vie est douce. C’est un peu l’histoire de Faust, finalement."
De renchérir McAvoy: "Lorsque j’ai reçu le script, je n’ai vu que le récit d’un homme blanc en Afrique; par la suite, j’ai vu plutôt ce médecin fantasque comme une représentation de cet homme blanc. Il était donc important pour moi que le public le trouve d’abord sympathique afin qu’il puisse le réévaluer à mesure qu’avance l’histoire, parce qu’en fait, Garrigan, c’est le spectateur. Plus encore, je dirais qu’il est le microcosme de la Grande-Bretagne colonialiste et destructrice, la représentation de son aveuglement face à la situation de l’Ouganda à l’époque et c’est ce que je trouvais important à démontrer. Même si elle est personnelle, la relation entre Amin et Garrigan est en fait celle qu’il entretenait avec la Grande-Bretagne."
En bout de ligne, le monstre garde tout de même un visage bien humain: "J’ai adoré le portrait humain qu’a fait Hirshbiegel de Hitler dans La Chute, et je comprends pourquoi certains ont été scandalisés de le voir ainsi, car Hitler est une icône que les gens n’arrivent pas à voir comme une véritable personne. Je dirais que pour nous, Occidentaux, Amin représentait le cliché que nous nous faisions de l’homme africain, et pour moi, il fallait préserver son côté bon enfant, attachant, même dans les scènes où il s’avère monstrueux, car il était ainsi", conclut le réalisateur. (M.D.)
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