Juliette Binoche : Quelques jours en novembre
Cinéma

Juliette Binoche : Quelques jours en novembre

En novembre, Juliette Binoche et Santiago Amigorena viendront présenter le film d’ouverture de Cinemania, Quelques jours en septembre, une tragédie d’espionnage où la belle actrice s’éclate en agent secret. Entretien exclusif réalisé au Festival International du Film de Toronto avec le scénariste devenu cinéaste et la star de renommée internationale.

Début septembre 2001, l’agent secret français Irène (Juliette Binoche) a pour mission d’emmener à Elliot (Nick Nolte), un agent secret américain mystérieusement disparu alors qu’il détenait un secret quant à l’avenir du monde, sa fille Orlando (Sarah Forestier), qu’il a abandonnée dix ans auparavant, et son fils adoptif David (Tom Riley). À peine leur périple entrepris, le trio aura à ses trousses William Pound (John Turturro), un dangereux poète psychopathe qui passe un coup de téléphone à son psy à chaque meurtre qu’il commet.

Bienvenue dans l’univers ludique, insolite et décalé de Quelques jours en septembre de Santiago Amigorena, qui après 20 ans d’écriture de scénarios et de romans, passe enfin à la réalisation: "C’est définitivement plus joyeux de tourner des films que de les écrire, admet ce "jeune" réalisateur. Il y a vraiment un côté ludique dans mon film, car je joue avec l’histoire et les personnages, qui ont chacun un niveau de jeu qui les met à distance."

Se livrant à une course contre la montre, ces personnages ignorent toutefois ce qui les attend au détour, contrairement au spectateur happé par ce qui devient pour lui un double suspense: retrouveront-ils Elliot et comment Amigorena illustrera-t-il le 11 septembre?

Le cinéaste explique: "Je ne sais pas d’où m’est venue l’idée du décompte vers le 11 septembre. Au départ, j’avais écrit un récit débutant le 11 septembre, mais le résultat était très dramatique, je l’ai donc jeté à la poubelle. Deux ou trois mois plus tard, je me suis dit que ça serait plus rigolo de devancer l’action et de mettre en scène des personnages qui ne seraient pas obsédés par les événements de septembre. J’avais envie de faire un film d’espionnage, mais pas un film sur le 11 septembre; pour moi, je trouvais que mettre des images du 11 septembre, c’était pornographique. On a eu beaucoup de discussions à ce propos, car on voulait que ça se fasse très discrètement."

L’AUTEUR ET SON DOUBLE

À l’instar d’Amigorena qui s’amuse à dérouter le spectateur, Irène se plaît à manipuler Orlanda et David, bien qu’elle en soit la protectrice: "Protectrice et provocatrice!, de lancer Juliette Binoche. C’est la narratrice de l’histoire, c’est elle qui amène l’action du thriller, qui est spectatrice de ce qui rapproche les enfants d’Elliot."

Amigorena confie: "Ce n’est pas le personnage d’Irène qui est apparu le premier, mais bien le trio. Irène est le personnage qui relie tous les autres, qui donne un point de vue général sur l’histoire…, je dirais un point de vue myope puisque tout devient flou lorsqu’elle retire ses lunettes."

Aperçue récemment dans le dernier Haneke, Binoche, qui semble prendre un malin plaisir à incarner cette femme à l’humour pour le moins singulier, surprend par ses mimiques comiques: "C’est vrai que c’est un rôle où je devais jouer sur autre chose, explique l’actrice. D’abord, je n’avais jamais imaginé comment jouer un agent secret. "Qu’est-ce que ça veut dire, être agent secret?", c’est la première question que je me suis posée. C’est se mettre dans une situation suicidaire, être entre la vie et la mort sans arrêt, toujours dans l’anticipation. L’unique façon de se sortir de cette tendance, c’est d’adopter une attitude ironique, un peu acide."

Binoche poursuit: "Ce film parle du besoin de faire revenir en surface les émotions. Finalement, Irène accompagne les enfants d’Elliot par amour, par besoin, car elle-même n’a pas de famille. Et à la fin du film, ils ont en quelque sorte crée une famille. Le film est quand même teint d’espoir malgré une situation très compliquée. Il montre une certaine réalité des relations internationales, tout en apportant de la poésie, de l’humour et de la séduction."

BABEL

Quelques jours en septembre met en vedette un casting imposant composé d’acteurs français, américains et arabes. En résulte un film où chaque personnage parle sa propre langue – évidemment, l’anglais devient souvent la langue commune: "Je voulais donner une dimension internationale au 11 septembre, pas comme chez Stone, par exemple, qui en fait un événement essentiellement américain, se souvient le réalisateur. Le 11 septembre est un événement historique; aujourd’hui, je pense que le plus pertinent n’est pas de savoir si c’est un complot absolu, ce que je ne crois pas, ou si Ben Laden a fait ça tout seul dans son coin sans que personne ne soit au courant. Ce qui est intéressant, c’est de savoir ce que pensent les gens après le 11 septembre; cela dit, je ne crois pas que cet événement ait changé à ce point la perception du monde, mais politiquement, il a été très utilisé."

Sur papier, l’intention d’Amigorena est fort louable, mais sur le plateau… "On a eu l’aide du Saint-Esprit!", rigole Binoche.

"C’est absolument naturel de tourner un film en plusieurs langues, de mélanger les cultures, soutient le cinéaste. En termes de production, c’est un peu compliqué parce que la vraie version du film est sous-titrée, il n’existe pas de version sans sous-titres. Il n’y a aucun problème à tourner avec quelqu’un dont on ne parle pas la langue, tant qu’on s’entend sur l’histoire à raconter; les langues ne sont pas des barrières, la vraie barrière serait de travailler avec quelqu’un qui fait du cinéma pour l’argent, par exemple."

"Les films réunissent les gens, les cultures, les traditions, c’est pour cela que c’est toujours aussi plaisant", conclut l’actrice, blonde platine au moment de la rencontre pour les besoins d’un film tourné sous la direction Hou Hsia Hsien.

Quel excellent film à présenter lors d’un festival voulant rapprocher nos deux solitudes, n’est-ce pas?

BINOCHE SUR KIESLOWSKI

Afin de souligner le dixième anniversaire de la mort de Krzysztof Kieslowski, Cinemania offrira La Double vie de Véronique et Trois couleurs: Bleu, Blanc, Rouge. Juliette Binoche, qui présentera Bleu, nous livre ses souvenirs de plateau: "J’ai revu Bleu il n’y a pas si longtemps et cela m’a rappelé que la qualité de Krzysztof, c’était le montage. D’ailleurs, il le disait lui-même, il n’aimait pas tellement le temps de l’écriture ni celui du tournage. Pour lui, le montage, c’était le moment où il se sentait plus libre, plus apte à faire le film qu’il avait en tête. Et c’est d’ailleurs très, très juste, car un metteur en scène est plus acteur de son film lors du tournage où il doit faire confiance aux acteurs."

C.V.

Le nom de Santiago Amigorena, né à Buenos Aires en 1962, est sans doute familier des admirateurs de Cédric Klapisch puisqu’il a signé les scénarios du Péril jeune, de Peut-être et de Ni pour ni contre (bien au contraire). Après une trentaine de scénarios, dont Rien à faire de Marion Vernoux et Post coitum, animal triste de Brigitte Roüan, et quatre livres (Une enfance laconique, Une jeunesse aphone, Une adolescence taciturne et Le premier amour), il décide de passer derrière la caméra en signant la tragédie d’espionnage Quelques jours en septembre.

Née à Paris en 1964, Juliette Binoche s’est rapidement imposée au cinéma au début des années 1980 où on l’a notamment vue chez Téchiné (Rendez-vous), Godard (Je vous salue Marie) et Kaufman (L’Insoutenable légèreté de l’être). Dans les années 1990, on la retrouve chez Carax (Mauvais Sang, Les Amants du Pont-Neuf) puis chez Kieslowski (Bleu). En 1997, 37 ans après Simone Signoret, elle devient la deuxième actrice française à décrocher un oscar, grâce à son interprétation d’infirmière canadienne-française dans The English Patient de Minghella. Apparue l’an dernier dans Caché de Haneke, l’actrice démontre dans Quelques jours en septembre ses talents pour la comédie. (MD)

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FESTIVAL DE FILMS CINEMANIA

Les spectateurs frustrés par le syndrome du manque de sous-titres qui semble sévir dans les festivals de films se rueront sûrement avec bonheur à cette 12e édition de Cinemania qui se tiendra au cinéma Impérial du 2 au 12 novembre. Pour l’occasion les organisateurs nous promettent la crème de la crème du cinéma français. À voir la liste des oeuvres présentées, on ne peut qu’être d’accord. L’événement s’ouvrira sur les très attendus Quelques jours en septembre de Santiago Amigorena, puis se poursuivra par le biais d’une programmation éclectique. Mentionnons, entre autres, le très prenant et intense Backstage d’Emmanuelle Bercot, mettant en vedette la jeune et talentueuse Isild Le Besco. Ceux qui les auront manqués lors de leur sortie en salles pourront aussi voir le très bon thriller Anthony Zimmer, de Jérome Salle, mettant en vedette Sophie Marceau, ainsi que l’acclamée comédie romantique Changement d’adresse d’Emmanuel Mouret. Au rayon des curiosités, ne manquez pas Le Passager, premier film d’Éric Caravaca. Un drame sombre, comprenant peu de paroles, mais beaucoup d’émotions. Caravaca, acteur, sera aussi présent aux côtés de Natacha Reigner devant la caméra de Lucas Belveaux dans le suspense La Raison du plus faible. Côté divertissement, Cinemania nous offre Comme t’y es belle! de Lisa Azuelos, une comédie qui rend hommage à la communauté juive sépharade parisienne. On attend aussi les Meurtrières de Patrick Grandperret, drame primé par le Prix du Président du jury au dernier Festival de Cannes. Finalement, ne manquez pas la rétrospective Kieslowski. Pour voir et revoir La Double vie de Véronique et les mythiques Trois couleurs. (NW)