Fast Food Nation : Dis-moi ce que tu manges…
Cinéma

Fast Food Nation : Dis-moi ce que tu manges…

Fast Food Nation, de Richard Linklater, d’après le best-seller d’Eric Schlosser, donne sérieusement envie de devenir végétarien. Entretiens avec le réalisateur, l’auteur ainsi que les acteurs Lou Taylor Pucci, Wilmer Valderrama et Catalina Sandino Moreno, rencontrés au Festival de Cannes.

Si la viande hachée n’est pas votre tasse de thé, il y a fort à parier que Fast Food Nation, comédie satirique de Richard Linklater d’après le best-seller d’Eric Schlosser, ne vous donnera pas l’envie de mordre à belles dents dans un burger avant longtemps: "Je ne suis pas très fast-food, avoue candidement le jeune acteur Lou Taylor Pucci (Thumbsucker), qui incarne le jeune activiste Paco. Évidemment, ça m’arrive d’en manger puisque c’est si facile de s’en procurer; quand j’étais étudiant, j’ai eu la chance d’avoir un prof qui nous a fait découvrir le livre de Schlosser et nous a mis en garde contre les dangers du fast-food. Pour moi, Fast Food Nation n’offre pas une version sinistre de l’Amérique, pas plus qu’il ne donne de solutions. C’est en fait un film qui envoie un signal d’alarme aux Américains tout en leur demandant: "Êtes-vous conscients de ce qui se passe en ce moment?" Certaines personnes n’ont pas le choix que de consommer du fast-food, et si ce film existe, c’est pour faire changer les choses."

Responsable du marketing d’une chaîne de fast-food, Don Anderson (Greg Kinnear) part enquêter sur le terrain le jour où il apprend

que la viande du burger-vedette de la chaîne a été contaminée par la bactérie E. coli. C’est ainsi qu’il découvrira, entre autres, un abattoir ne respectant aucune norme d’hygiène et où travaillent, dans des conditions lamentables, des immigrés mexicains, dont Sylvia (Catalina Sandino Moreno, révélée dans Maria Full of Grace), qui sera abusée sans vergogne.

L’émouvante actrice nous confie: "Je suis fière d’être colombienne, d’être latine. Même si je vis à New York, je ne renierai jamais mon pays. Je me sens responsable de prêter mon visage et ma voix à ceux que la société oublie, néglige. Lorsque j’ai à personnifier ce type de personnage, je le fais de façon à m’éloigner des stéréotypes ou clichés trop souvent vus au cinéma."

Sur un ton plus rassurant, celui qui incarne son petit ami Raul, Wilmer Valderrama (That 70’s Show et l’interprète de Ponch dans le film C.H.I.P.S. prévu pour 2007), affirme: "J’avais 14 ans lorsque ma famille a quitté le Venezuela pour retourner vivre aux États-Unis, et ça a été l’une des choses les plus merveilleuses qui me soit arrivée. Le film de Linklater nous rappelle simplement qu’il ne faut pas tenir notre santé pour acquise, qu’il faut faire attention à ce que l’on fait ingérer à notre corps."

De fait, mais si l’on se fie aux propos de Schlosser, qui a coécrit le scénario avec Linklater, il n’y a pas que les chaînes de fast-food dont on devrait se méfier: "J’ai travaillé moi-même dans des restaurants et j’ai interviewé plusieurs personnes travaillant dans la restauration; bon nombre d’entre elles me déconseillaient d’aller manger dans leur restaurant. C’est un vrai problème! Il y a quelques années, dans un article du Wall Street Journal, on racontait ce que les jeunes faisaient dans les chaînes de fast-food, surtout lorsqu’ils servaient des policiers."

Linklater l’interrompt: "Même dans les plus chics restos, on retrouve des gens qui crachent dans la soupe. C’est ce qui arrive lorsqu’on exploite les gens."

Schlosser poursuit: "C’est incroyable! Je pense que chacun d’entre nous a dû manger de la nourriture où l’on avait craché… Et le crachat n’est qu’un élément parmi tant d’autres. Si vous aviez vu ce que j’ai vu dans l’industrie de la viande hachée, vous diriez qu’un crachat n’est pas si mal…"

Si Borat, qui dénonce avec un humour débraillé (et on ne peut plus scatologique) les petits travers de l’Amérique, a tout de même séduit les Américains, ces derniers auront peut-être de la difficulté à avaler Fast Food Nation, qui leur offre une vision peu idyllique de leur pays: "Je sais que je suis très critique envers lui, mais j’adore mon pays. Je suis surpris qu’on n’y respecte pas toujours les idéaux que défendaient les Jack Kerouac et Bruce Springsteen", s’inquiète Eric Schlosser.

Au dire du réalisateur, il ne faudrait pourtant pas y voir là un film anti-américain: "Nous ne faisons que questionner une industrie qui fonctionne de telle façon. L’Amérique est un modèle, mais le problème est international, il est partout où l’on sert et consomme du fast-food. Je crois que le film attaque notre mentalité, sur le fait que nous sommes si détachés de la façon dont l’industrie alimentaire fonctionne. Tout est fait de manière à nous faire oublier le traitement des employés, le sort des animaux et les impacts sur l’environnement. Bien que les États-Unis ne soient pas le pays où je croyais vivre, mon film n’est pas anti-américain; je dirais qu’il est anti-corporatiste. C’est la critique d’une industrie, pas d’un pays."

Film choral ambitieux, Fast Food Nation dénonce, à l’aide d’un humour corrosif à souhait, l’hypocrisie des multinationales et du gouvernement qui ferment les yeux sur les problèmes de santé de plus en plus graves de la société américaine, notamment dans les familles à faibles revenus. Même si certaines scènes s’étirent inutilement, telle cette discussion d’étudiants écolos où la chanteuse Avril Lavigne déploie ses talents pour le jeu, Fast Food Nation s’avère aussi efficace que l’était le documentaire coup-de-poing de Morgan Spurlock, Super Size Me. Bref, de quoi convaincre tout le monde de manger bio.

C.V.

Né à New York en 1959, l’écrivain et journaliste Eric Schlosser bouleverse l’Amérique en 2001 avec son essai Fast Food Nation, où il explore le côté sombre de l’industrie alimentaire. N’ayant aucune confiance envers les studios de télé et de cinéma, ce n’est qu’en 2005 qu’il accepte que Richard Linklater signe une étude de caractères inspirée de son best-seller.

Né au Texas en 1960, Richard Linklater s’est fait connaître avec Slacker et Dazed and Confused au début des années 90, où l’on retrouvait celui qui deviendra son acteur fétiche, Ethan Hawke, avec qui il a coscénarisé Before Sunrise et Before Sunset, et que l’on retrouve dans Fast Food Nation dans la peau de Pete, qui poussera sa nièce et ses amis à changer le monde. On lui doit également Waking Life et A Scanner Darkly, deux films tournés avec la technique de rotoscopie, où il explore son thème de prédilection, soit la quête existentielle de sa génération.

À voir si vous aimez
Super Size Me de Morgan Spurlock
Les burgers…