Le Voyage de Nadia : Huis clos
Cinéma

Le Voyage de Nadia : Huis clos

Dans Le Voyage de Nadia, Nadia Zouaoui revient dans sa Kabylie natale afin de mieux comprendre cette société si complexe qui confine ses femmes à l’enfermement. Rencontre avec une réalisatrice à la démarche aussi engagée que sensible.

"Je reviens là où tout a commencé pour exorciser ma souffrance, mais aussi et surtout pour témoigner de la difficulté d’être femme au royaume des hommes…" "Là", c’est Tazmalt, un petit village kabyle d’Algérie où, malgré l’immensité du ciel, on étouffe souvent sous le carcan des traditions. C’est dans ce lieu où les rues sont peuplées exclusivement de la population masculine, où chaque geste est scruté à la loupe, où les femmes ne sortent jamais sans être accompagnées par père, mari ou frère, que Nadia Zouaoui a grandi. C’est aussi ce lieu qu’elle a quitté au profit de Montréal à 19 ans, lorsque son père l’a mariée de force à un homme qu’elle n’avait jamais vu, et qui l’avait choisie à partir d’une photo. Un mariage forcé difficile, duquel elle n’est pas sortie sans peine.

Bien des années plus tard, en collaboration avec la coréalisatrice Carmen Garcia, la jeune femme a voulu comprendre les mentalités régissant la culture qui l’a vue naître. Elle est donc revenue sur les traces de son passé pour son film, et pour nous: "Déjà, à l’âge de 7 ans, je savais que je vivais une injustice. Je voyais des femmes battues… Et puis j’avais une cousine que j’aimais beaucoup, qui était un véritable modèle pour moi. C’était une jeune fille qui avait étudié, qui avait des posters de chanteurs rock, qui portait des jeans, qui avait les cheveux toujours relâchés. Mais un jour, son père est allé voir sa mère pour lui dire qu’il la mariait à quelqu’un qu’elle n’avait jamais vu. Je l’ai vue faire une crise, et j’ai compris ce qui m’attendait. J’ai assisté à son mariage, et c’était comme un suicide…"

Nadia avait vu juste: bien qu’assez libéral pour l’envoyer au "collège de filles" où des professeurs masculins distinguaient le "genre fort" du "genre faible", son père n’a pas épargné à sa fille une union dont elle ne voulait guère: "Ma mère n’avait aucun pouvoir de décision. Son but, c’était d’honorer mon père. Et le but de mon père, c’était d’honorer sa famille. C’est exactement ce que j’essaie de montrer dans mon film: même si on est contre, on est pris."

Le but recherché par la réalisatrice pourrait laisser entendre un ton revendicateur. Pourtant, l’approche employée est d’une grande sensibilité qui, mieux que n’importe quelles paroles revanchardes, parvient à démontrer toutes les difficultés que le moindre désir de changer les mentalités pose dans une société où, dans un contrat de mariage, quatre pages blanches sont laissées au mari pour les quatre femmes auxquelles il a droit: "Malheureusement, trop souvent ici, lorsqu’on voit une femme en hidjab, on dit qu’elle est soumise, alors que lorsqu’on croise une femme habillée à l’occidentale, on suppose qu’elle est moderne. Pourtant, c’est beaucoup plus profond que cela. Un hidjab, on peut l’enlever. Mais c’est beaucoup plus difficile d’enlever le voile qu’on a à l’intérieur, celui de cette éducation qu’on nous inculque très jeune."

Porté par une narration d’une grande poésie, appuyé par des témoignages intenses, Le Voyage de Nadia est un documentaire percutant et nuancé. Comment rester indifférent à la vue de cette dame âgée qui atteste que le seul moment où elle a été heureuse fut quand son mari est parti quelque temps en France? Ou lorsque ces jeunes garçons avouent sans gêne frapper leurs soeurs qui, tout sourire, confirment ces dires? Consciente de la force de ces images, mais surtout de la controverse qui les entoure d’ores et déjà, la réalisatrice conclut: "Je défie n’importe quel homme qui est macho, qui méprise les femmes, qui est islamiste de regarder ce film et de me dire qu’il n’a pas été touché."

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