Gadjo Dilo Films : Le courage de l'indépendance
Cinéma

Gadjo Dilo Films : Le courage de l’indépendance

Gadjo Dilo Films verse dans le cinéma citoyen avec des moyens limités, mais une conviction sans bornes. Rencontre avec son homme fort, François Lemieux.

Légèrement en retard au rendez-vous fixé, François Lemieux nous prie de l’excuser. Le jeune cinéaste et producteur des Voix de Kalkeri se prêtait à une interview radio en prévision d’une virée à Rouyn-Noranda. On peut se compter chanceux de l’avoir attrapé au vol. La même semaine, son itinéraire prévoyait, entre autres choses, un saut de puce à Toronto. Au total, "c’est 40 villes qu’on aura visitées d’ici au mois de mars", dit François Lemieux.

La vie post-festivalière du premier documentaire de Gadjo Dilo Films est particulièrement féconde. En empruntant le circuit des ciné-conférences, Les Voix de Kalkeri a rencontré un public enthousiaste et volontaire. "Il y a toujours le mythe que le monde en région est décroché, lance François Lemieux. Pourtant… Je rencontre des jeunes de Rimouski qui s’organisent avec des professeurs pour aller en Bolivie, ou pour aller faire des puits en Afrique. Ça les stimule d’avoir un exemple concret."

DES NOUVELLES DE KALKERI

Il y a trois ans, François Lemieux et son équipe débarquaient à Kalkeri, dans le Sud de l’Inde, avec l’idée de rendre compte, de manière tout à fait indépendante, de la démarche de Jeunes musiciens du monde. L’organisme, dirigé par Mathieu et Agathe Fortier, permet à des enfants défavorisés de s’initier à la musique classique tout en apprenant quelques bribes de français et d’anglais. L’équipe de Gadjo Dilo Films a passé deux mois à filmer les tribulations des pédagogues et de leurs pupilles. Poignant et instructif, le film propose un regard réaliste sur le travail de coopérant international. L’oeuvre a été façonnée selon une structure libre. François Lemieux se rappelle que "le scénario était improvisé au jour le jour. Je n’avais pas eu le temps de faire beaucoup de recherche avant de partir". En marge de leur travail cinématographique, Lemieux et ses camarades mettent la main à la pâte. Leur engagement est profitable. "On a donné des cours d’anglais, on a fait la bouffe, on est allés chercher les légumes au village, se souvient le cinéaste. Tout ça nous a permis de faire un repérage éclairant et d’asseoir une relation avec les Indiens locaux. On n’est pas venus prendre, mais faire un échange."

Les dernières nouvelles provenant de Kalkeri sont bonnes. "Ça demeure précaire, mais ils sont rendus avec 90 enfants, rapporte François Lemieux. Les gens de Kalkeri donnent un coup de pouce. Ça peut être des dons en bouffe, en matériel scolaire. Certains enfants qui, lors de notre passage, étaient assis pour la première fois sur un banc d’école ont fait des concours nationaux. Ils se sont classés au deuxième rang. Ça cloue le bec à ceux qui disaient: "Est-ce que ça donne vraiment de quoi?" Ben oui."

MOTIVÉS, MOTIVÉS…

Les retombées sont encourageantes, essentielles même. Elles viennent, à tout le moins, légitimer des heures et des heures d’honnête labeur. "Si j’ai les yeux cernés comme ça, c’est parce que je ne dors pas, confie le réalisateur. On court après nos subventions. Chaque fois, on rencontre beaucoup de résistance, parce que c’est un premier titre, parce qu’on n’a pas de nom…"

Installée dans Rosemont, la PME Gadjo Dilo Films roule modestement avec trois employés: les valeureux compagnons de trio de Lemieux se nomment Gabriel Gallant-Robert, producteur associé, monteur de Kalkeri et chargé de projet, et Marie-Hélène Marchand, adjointe aux communications. Certains artisans présents au début ont dû abandonner en cours de route. "Tout est bénévole depuis le départ, explique François Lemieux. Je peux comprendre l’essoufflement. Pendant plusieurs mois, tu vis avec 40 $ par semaine. Une production comme ça, ça devient ton meilleur ami, et il a toujours faim…"

Jusqu’ici, Gadjo Dilo Films a su composer avec l’adversité. François Lemieux remercie les "bonnes fées", nombreuses, qui ont permis au projet de voir le jour et de profiter. Il fait cependant remarquer que l’aide d’"en haut" demeure parfois difficile à obtenir. "Je lisais dans La Presse un très bon plaidoyer du sénateur (Roméo) Dallaire sur la difficulté que notre génération pouvait avoir versus ceux qui sont bien installés. On ne pourrait pas se donner un peu plus la main, entre générations?"

Quoi qu’il en soit, les gens de Gadjo Dilo Films persistent et espèrent s’atteler à quelques nouveaux projets en 2007. "On a quelque chose en Afrique, révèle François Lemieux. On aimerait ça, lancer un documentaire formule caméra témoin. On aimerait aussi développer quelque chose avec Reporters sans frontières. Le monde se réécrit. Notre caméra veut croquer les visages qui font la différence dans leur milieu." Noble programme.

Le DVD du documentaire Les Voix de Kalkeri ainsi que la trame sonore du film sont disponibles chez Renaud-Bray et chez Sillons le disquaire. Plus de détails sur les projets de Gadjo Dilo Films au www.gadjodilofilms.com.