Ces filles-là : Pignon sur rue
Cinéma

Ces filles-là : Pignon sur rue

Avec Ces filles-là, Tahani Rached nous amène dans les rues du Caire, à la rencontre d’adolescentes ayant choisi de vivre dehors. La cinéaste revient sur sa démarche.

Elles ont quitté un nid familial imparfait pour aller voir ailleurs si elles y étaient. C’est la rue qui est devenu leur domicile. Pour Tata, Mariam, Abir et Donia, la liberté se trouve sur le bitume. Or, de l’aveu même de ces adolescentes cairotes, la vie dehors n’est pas toujours rose. Chaque jour, il leur faut composer avec un environnement hostile, où les descentes de police et les enlèvements sont monnaie courante et la violence, physique et verbale, coutumière.

En se portant à la rencontre de ces jeunes femmes, Tahani Rached découvre un univers difficile. La réalisatrice de Soraïda avoue tout de go qu’elle n’était pas tout à fait préparée: "J’ai eu à côtoyer cette violence à travers ce que les filles ont vécu. Il a fallu que je deale avec. On est témoin de beaucoup de souffrance."

Sans chercher à masquer la réalité, la cinéaste plonge au vif du sujet et lève, ce faisant, le voile sur une situation qui secoue. Même sur place. "Le film, quand il a été vu en Égypte, a été reçu comme un coup de poing, se souvient Tahani Rached. Tout le monde a été bouleversé. Les gens découvraient un monde qu’ils voyaient mais qu’ils ignoraient." Et pourtant, la réalité est chiffrée. "Selon les statistiques de l’UNICEF, elles seraient entre 200 000 et 1 000 000 à vivre ainsi, ajoute la réalisatrice. La fourchette est large, mais s’il n’y en avait que 200 000, ça ferait déjà pas mal."

CONFIANCE ET PROXIMITÉ

Pour raconter leurs histoires, Tahani Rached s’efface. Elle entreprend de rapporter le réel à travers les yeux des filles. Elle choisit une approche qui échappe à la tentation de juger, de faire la morale. "On a dit aux filles: "On va faire le film que vous voulez faire". Et ça, ça fait la différence", explique la documentariste. Du coup, les jeunes femmes se livrent volontiers, avec une candeur et une franchise souvent désarmantes. Question de confiance.

Pour en arriver à ce degré d’intimité, il a fallu y mettre le temps. "On a passé cinq mois avant de commencer à tourner, se souvient Tahani Rached. On était dans la rue tous les jours. J’avais dit à l’équipe que la seule manière de tourner, c’était de faire partie de la rue, au même titre que le fruitier du coin…"

Tout autour, les gens, curieux, posent des questions à la cinéaste à propos de ses intentions : ""Êtes-vous là pour convertir les filles au christianisme?", "Êtes-vous là pour voler les reins des enfants?", "Êtes-vous là pour faire un film porno?" Il a fallu répondre, prendre le temps."

COURAGE ET ESPOIR

Quoique reflétant une réalité difficile, les portraits que tire Tahani Rached sont porteurs d’un espoir tangible. On sent que la réalisatrice a été touchée par ces filles-là, qu’elle leur a trouvé de nobles qualités : "Il y a une très belle solidarité entre elles. Une humanité qui est là. Très forte. Fondamentale. À côté de la violence, il y avait ça. C’est un signe d’espoir."

La réalisatrice reconnaît également la force de caractère et le courage de ces jeunes de la rue: "Elles foutent le camp de chez elles parce qu’elles croient que la vie doit être autre chose. Ça, c’est la qualité de celui qui veut changer les choses, celui qui se révolte, se rebelle. Pour moi, ces gens sont les plus forts de la société. Ceux qui ont le plus de potentiel au fond. Qui sont le contraire de ce qu’on dit d’eux, des perdus…"

Dans cette phrase, on sent tout l’amour que porte la cinéaste à ses sujets: "Je les aime, avoue-t-elle. C’est bête comme ça. Je continue d’être avec elles… Comme pour tous mes films, j’ai gardé des rapports d’amitié avec les gens avec qui j’ai tourné. Ça me fait beaucoup d’amis."

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