Babel : Si loin, si proche
Cinéma

Babel : Si loin, si proche

Dans Babel, sublime, captivant et bouleversant film choral d’Alejandro González Iñárritu, une balle perdue dans le désert marocain provoque le chaos à travers le monde. Propos du réalisateur et de l’acteur Gael Garcia Bernal.

Composé d’un volet mexicain émouvant et festif, d’un volet marocain haletant et révoltant et d’un volet japonais lyrique et sensuel, Babel est certainement le plus ambitieux et le plus réussi des films d’Alejandro González Iñárritu: "L’idée de Babel m’est venue il y a très longtemps, se souvient le cinéaste. Un jour, j’ai appelé Guillermo Arriaga pour lui dire ce que j’avais envie de raconter. Il est alors parti de mes histoires pour créer ce scénario; parmi les nombreux récits, j’ai choisi celui qu’il avait campé au Maroc, où nous pouvions traiter de la peur des Américains face aux Arabes. De là, nous trouvions important d’inclure un volet mexicain afin de parler de la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Guillermo n’est jamais allé au Japon, mais à partir des personnages que j’avais en tête, il a fait un travail magnifique. Ce fut une collaboration très excitante, intense et productive."

Porté par un casting aussi imposant qu’impeccable et tissé de récits se répondant brillamment les uns aux autres, Babel nous transporte donc au Maroc, où un couple (Brad Pitt et Cate Blanchett) est victime d’une balle perdue; au Japon, où un veuf survit difficilement au suicide de sa femme alors que sa fille sourde-muette découvre sa sexualité (Koji Yakusho et Rinko Kikuchi); et au Mexique, où un jeune homme a conduit sa tante, qui n’a pu se faire remplacer comme gardienne auprès de deux jeunes enfants américains, au mariage de son fils (Gael Garcia Bernal et Adriana Barazza).

Dans chaque histoire, c’est la vente de la même arme à feu qui changera le destin de plusieurs des personnages: "Je pense qu’il y a beaucoup de préjugés dans la société, nous nous jugeons facilement les uns les autres, confiait Alejandro González Iñárritu. L’incommunicabilité n’existe pas qu’entre les nations, les religions, mais dans les familles, les couples. Dans chaque couche de la société, on n’arrive pas à écouter l’autre, on parle beaucoup sans écouter. Avec Babel, je voulais exprimer, au-delà des barrières linguistiques, notre inhabilité à exprimer l’amour ou à être touché par l’amour."

Gael Garcia Bernal renchérit: "Les préjugés font partie de notre vie; nous naissons, ensuite nous apprenons une langue, nous adoptons une culture et nous prenons notre place dans la société. Puis, nous découvrons l’autre et ses différences, et c’est à partir de là qu’apparaissent les préjugés. Peut-être que le sens de la vie, c’est d’apprendre à détruire ces préjugés. Le film d’Alejandro utilise la métaphore de la tour de Babel afin d’extrapoler sur l’incommunicabilité des êtres; nous cherchons des réponses au-dessus de nous, et à force de vouloir nous élever au-dessus des autres, nous ne nous entendons plus; si nous continuons ainsi, c’est notre monde qui va s’écrouler."

Si le volet mexicain nous paraît de loin le plus senti, sans doute grâce à la merveilleuse Adriana Barazza, il semble que ce soit davantage dans le volet japonais – le préféré de l’acteur – que le réalisateur s’est investi: "Chaque segment pour moi était très important. Évidemment, je me sens plus à l’aise de tourner au Mexique. Pour le Japon, j’ai tenté d’être plus esthétique et poétique. Ce qui m’intéressait dans ce volet, c’était le point de vue de sa fille, car pour moi, le père n’est que la gâchette, celui qui commet un acte innocent et par qui le drame arrive. Quant au volet marocain, cela a été plus difficile en raison de la délicatesse du sujet."

Iñárritu poursuit: "Pour arriver à cerner ces trois univers, il m’a fallu tout simplement observer et avoir recours à des répétiteurs pour les acteurs et moi afin de nous aider à mieux nous imprégner de la culture, physiquement et intuitivement. Même si je savais ce que chaque réplique voulait dire, je n’oubliais pas qu’au-delà de la parole, il y a le langage du corps – les yeux ne peuvent pas mentir. Ce qui a été vraiment difficile, c’était de diriger des acteurs professionnels et non professionnels. Le tournage, c’était un peu Babel…"

Fruit de la collaboration entre le réalisateur mexicain et le scénariste Guillermo Arriaga, ce film choral magnifique, lyrique et envoûtant, dont la forme s’éloigne des précédents puzzles chronologiques complexes, démontre avec puissance comment l’étroitesse d’esprit de l’homme peut lui être fatale: "Ce qui est fantastique à propos du scénario d’Arriaga – et de tous ses scénarios -, c’est qu’il démontre à quel point l’influence que nous avons les uns sur les autres est colossale. Traiter d’un tel thème apporte évidemment de grandes et belles histoires, et Babel nous rappelle la responsabilité que nous avons les uns envers les autres", conclut Gael Garcia Bernal.

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