Sébastien Pilote : Poussière sur la ville
Cinéma

Sébastien Pilote : Poussière sur la ville

Sébastien Pilote, réalisateur pour l’émission Méchant Contraste! à Télé-Québec, signe un court métrage qui sera présenté pour la première fois devant public au festival Regard. Une touchante incursion dans la triste réalité des chômeurs…

"L’infaillible façon de tuer un homme, chantait Félix Leclerc, c’est de le payer pour être chômeur. Et puis c’est gai, dans une ville… ça fait des morts qui marchent!" Ces quelques paroles enfouies au fond du coeur prennent soudainement tout leur sens alors qu’on visionne le court métrage de Sébastien Pilote, Dust Bowl Ha! Ha!.

On croit que le sujet est délicat, qu’il touchera particulièrement les gens d’ici. Avec la fermeture de Port-Alfred, le Saguenay a encore à vif une blessure qui prend son temps pour cicatriser. Le film ne présente toutefois que l’écho de cette usine qu’on a ruinée avec un fracas se répercutant dans les chaumières, dans les cuisines, dans la tête des travailleurs goûtant au chômage et aux errances de l’oisiveté forcée. L’histoire est universelle: c’est celle d’un homme qui voit son univers s’effondrer, sa structure interne tomber en poussière, menaçant à tout moment d’être balayée par le souffle du désespoir. L’usine fermée lui colle à la peau, comme ses anciennes odeurs, comme une crasse indélébile.

C’est un condensé d’émotions qui prend à la gorge, peu importe la nationalité, un étouffant coup de poussier qui tapisse longtemps la mémoire. Finalisé à peine une semaine avant d’être présenté à un public d’une soixantaine de représentants de l’industrie et de professionnels au Festival international du court métrage Clermont-Ferrand, Dust Bowl Ha! Ha! s’est vu gratifié de commentaires très élogieux. Ayant évité de faire des références explicites aux particularités de la situation économique régionale, Pilote aura en effet rendu son oeuvre universelle. "J’ai voulu y aller avec des pincettes. Je ne voulais pas identifier, nommer les choses explicitement, le nom de l’usine, par exemple…" Ce qui n’empêchera toutefois pas le public saguenéen de se reconnaître dans cette oeuvre dont la réception promet d’être particulièrement chargée d’émotion, samedi soir, lors de sa diffusion en avant-première au festival Regard.

Alors que beaucoup de réalisateurs exploitent l’humour dans leurs courts métrages, répondant ainsi à la contrainte de la durée par le sens du punch, c’est un tour de force qu’a réussi Sébastien Pilote avec son film, arrivant à transmettre autant d’émotion en 12 minutes et des poussières. "C’est rare. Je n’avais jamais vu vraiment de courts métrages qui m’avaient rentré dedans. C’est facile de faire rire, mais faire pleurer en 12 minutes…"

Pour y arriver, Pilote n’a pourtant pas eu recours à des acteurs professionnels. "J’aime travailler avec des comédiens non professionnels. Je m’y suis habitué en faisant du reportage à la télévision", explique-t-il, admettant des influences du cinéaste Robert Bresson. "Ma technique, c’est de ne pas faire jouer. Le cinéma, pour moi, avec la situation dans laquelle on place le personnage, signifie quelque chose. Si en plus tu le fais dire à ton personnage, alors on a l’impression que c’est surjoué. Mais quand tu lui demandes de ne rien faire, c’est l’effet Kuletchov – du nom d’un cinéaste russe -, tu comprends vraiment. Pendant le tournage, on désamorçait constamment. C’est une technique plus documentaire, du cinéma direct. C’est ça que j’aime."

Mais alors, quelle raison a pu pousser le réalisateur à préférer un genre fictionnel? Pour Pilote, tout simplement, la frontière est moins bien définie qu’on pourrait le croire entre la fiction et le documentaire, ce dernier admettant de toute façon une mise en scène. "Tout documentaire, aujourd’hui surtout, est hyper-scénarisé. On va chercher les gens parce qu’on sait ce qu’ils vont nous dire."

Chaque année, on nous le répète, beaucoup de comédiens et de réalisateurs s’accordent pour dire que le court métrage est une école idéale pour apprendre à maîtriser les différentes sphères de la production cinématographique. Pilote réduit en poussière cet adage facile, préférant voir le court métrage comme une oeuvre en soi. "Même si on m’avait donné carte blanche et plusieurs millions de dollars, j’aurais fait le même film. Je ne voulais pas montrer mon savoir-faire, mais plutôt une sensibilité. Je voulais trouver des scènes qui parlaient beaucoup, mais avec une grande simplicité." Touché.

Le film Dust Bowl Ha! Ha! sera présenté le 10 février, à l’auditorium Dufour. Voyez toute la programmation du festival sur le site www.caravane.tv.
Festival Regard sur le court métrage au Saguenay
Du 7 au 11 février

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VOIR AU FESTIVAL REGARD
Dust Bowl Ha! Ha! est l’un des meilleurs films québécois de la prochaine année. Les gens de l’industrie ont vraiment tripé, c’est un film qui aura une très belle carrière à l’international et qui surtout confirme Sébastien Pilote comme un des réalisateurs à observer pour 2007. (Danny Lennon)
Lisez le blogue événementiel du Voir au festival Regard, tenu par Danny Lennon sur voir.ca/blogues.