FIFO : Voyage au coeur de l’Océanie
La 4e édition du FIFO se tenait du 30 janvier au 3 février à Papeete (Tahiti). Souvenirs de voyage de notre envoyée spéciale Jacqueline Brodie.
Ciel radieux, fracas spectaculaire de la houle sur le récif, scintillement de turquoise liquéfiée, effluves capiteux des fleurs de tiaré portées à l’oreille, en collier, en couronne, sans distinction de sexe et d’âge. Clichés? Non, Papeete. Au loin, couronné de nuages, l’imposant massif volcanique Orohena dresse ses 2000 mètres. Nous sommes à Tahiti, joyau de la Polynésie française, haut lieu des lunes de miel de rêve pour jeunes mariés argentés, centre nerveux de l’archipel des îles de la Société.
Dans la foulée de la redoutable dépression cyclonique Zita et de son rejeton Arthur, de leurs trombes d’eau déversées sur l’île, dévastant quartiers et villages, une manifestation culturelle de premier ordre vient de clore sa 4e édition: le Festival International du Film Documentaire Océanien (FIFO).
Pendant cinq jours, le FIFO proposait à la population de Papeete et aux participants nationaux et étrangers un rendez-vous audiovisuel consacré à la diversité culturelle de l’ensemble du bassin Pacifique Sud. Avec 18 oeuvres documentaires en compétition, immersion garantie au coeur de cultures et de traditions de ce vaste ensemble englobant Polynésie, Mélanésie, Micronésie.
Sous la houlette de son délégué général Pierre Ollivier, maître d’oeuvre du FIFO, avec un budget modeste – (moins de un million de dollars), le festival nous a offert une sélection d’oeuvres fortes, étonnant dosage où l’audace le disputait à l’émotion. Autre coup de maître: le jury de haut niveau qui eut à juger les oeuvres en lice pour le Grand Prix. Autour de la présidente Laure Adler, écrivaine et personnalité de la télévision culturelle et de l’édition françaises, on retrouvait entre autres, dans ce jury composé de 10 membres, l’Américaine amoureuse de Montréal Madeleine Carter, productrice du secteur international de National Geographic, Stéphane Martin, président du musée du Quai Branly (Paris), Jennifer Cummins, productrice australienne pour qui Banff et le lac Louise sont les plus beaux endroits du monde, Christine Tisseau Giraudel, productrice et vice-présidente de l’Association tahitienne des professionnels de l’audiovisuel (ATPA), ainsi qu’Emmanuel Priou, l’heureux producteur du sublime documentaire La Marche de l’Empereur de Luc Jacquet. Ce dernier compte terminer en mars, nous a-t-il confié, le tournage du prochain film de Jacquet, Le Renard et l’enfant, lequel raconte l’histoire d’une petite fille qui tente d’apprivoiser un renard sauvage et apprendra ainsi à ne pas s’ingérer dans l’ordre de la nature.
QUAND LE PASSÉ SE CONJUGUE AU PRÉSENT
Remarquable traversée au coeur des traditions ancestrales, sur les traces des origines et des racines, de quêtes en affirmations identitaires – thème central qui émergeait nettement de cette édition du FIFO -, les oeuvres présentées, dans leur diversité, nous firent découvrir un riche patrimoine et la vigueur de cultures survivantes de celles imposées par les anciens colonisateurs. Portées par l’image, les forces vives de l’Océanie, produits de métissages féconds, s’expriment avec une énergie devant laquelle nul ne peut rester indifférent.
Les trois oeuvres primées, chacune de facture très personnelle, illustrent admirablement comment se vit et s’interprète, au présent, ce passé si fertile. Les voici:
Made in Taïwan: Nathan and Oscar’s Excellent Adventure – Nouvelle-Zélande – Grand Prix du jury et Prix du public – Le réalisateur Dan Salmon a accompli une véritable prouesse en traitant ce sujet avec autant de sérieux que d’humour. Deux jeunes universitaires néo-zélandais, après un test ADN qui leur révèle que leurs ancêtres viennent, pour l’un, d’Eurasie de l’Est et d’Amérique, pour l’autre, d’Eurasie centrale et du Sud, partent à la rencontre de leurs origines. C’est donc en sens inverse qu’ils accomplissent le voyage de leurs lointains aïeux. Rire et émotion garantis.
Mr. Patterns – Australie – Prix spécial du jury – Remarquable production réalisée par Catriona McKenzie. Autre document émouvant qui nous ouvre les portes de l’expression picturale du Temps du rêve des aborigènes de l’Australie centrale. Geoffrey Bardon, jeune Blanc, partira dans les années 70 comme instituteur à Papunya. Il y trouvera une population aborigène dévastée: alcoolisme, acculturation, etc. Épris d’art et observant leurs dessins sur le sable, découvrant leur contenu spirituel, il incitera les Anciens à peindre leurs histoires ancestrales. Le monde entier découvrira peu à peu leur unique forme d’expression. Les artistes aborigènes retrouveront ainsi dignité et indépendance, tandis que celui qu’ils surnommaient affectueusement Mr. Pattern sera frappé d’ostracisme par sa société éminemment raciste.
Tjibaou le Pardon – Prix spécial du jury (ex æquo) avec Mr. Patterns – Nouvelle-Calédonie – Réalisée par Gilles Dagneau, produite par RFO (Radio-télévision française d’outre-mer), cette oeuvre fascinante aux antipodes de notre culture est une extraordinaire leçon d’humanisme. En Nouvelle-Calédonie, au coeur des traditions et coutumes du peuple kanak, 15 ans après trois assassinats politiques en 1989, les trois veuves de deux clans opposés se retrouvent sur le terrain de la réconciliation. Admirablement mis en contexte, ce document nous offre un témoignage bouleversant de ce que peuvent accomplir les humains de bonne volonté.
Toujours sur le même thème, un autre document australien non primé mais digne de l’être, The Floating Brothel de Mark Lewis, nous entraîne dans le sillage du Lady Juliana. À son bord, des centaines de condamnées, déportées par le royaume d’Angleterre, étaient destinées aux hommes de la colonie. C’est toute une traversée, du 18e au 21e siècles, que nous proposent trois Australiennes ayant retracé par les archives le passé de leurs aïeules condamnées à la déportation pour vol ou prostitution. Femmes fortes qui réussirent non seulement à survivre, mais sont devenues, contre toute attente, les fondatrices de l’Australie moderne. Un point de vue féministe assez réjouissant.
UNE INDUSTRIE EN DEVENIR
Vivant de commandites culturelles, de films publicitaires, les 22 réalisateurs et artisans locaux de l’audiovisuel de l’ATPA n’ont pas encore accès à un financement d’état. Toute oeuvre personnelle doit donc s’autofinancer. Leur rareté n’est donc pas surprenante. Espoir, pourtant. Le président du pays, Monsieur Gaston Tong Song, très présent au Festival, vient d’annoncer la création d’un fonds de soutien de près de 140 millions de dollars. Pour les membres de l’ATPA, selon sa vice-présidente, la priorité est avant tout la création d’un organisme fonctionnel qui, en concertation avec les membres de la profession, mette en place un système cohérent visant au long terme en matière d’aide à la production. D’autre part, un organisme de promotion, le Tahiti Film Office, est en phase de création.
PETITES NOTES POUR L’HISTOIRE
La Polynésie française est un pays d’outre-mer, territoire français qui jouit d’un statut d’autonomie avancé. Sa structure politique comprend deux niveaux de gouvernement: d’une part, le pays, représenté par un président élu, des députés et des ministres, d’autre part, l’État, c’est-à-dire la France, représenté par un haut-commissaire. On y parle deux langues officielles: le français et le tahitien.
Et l’on rêve de ne plus quitter ce pays si beau. Ce que réalisa un cinéaste québécois, Patrick Auzépy, ancien membre de l’Association coopérative de productions audio-visuelles (ACPAV), qui vit ici depuis une trentaine d’années.