Ma fille, mon ange : Sans ailes
Cinéma

Ma fille, mon ange : Sans ailes

Ma fille, mon ange, premier long métrage d’Alexis Durand-Brault, se veut une incursion dans l’industrie florissante de la cyberpornographie. Le réalisateur, Michel Côté et Karine Vanasse parlent de la banalisation de la sexualité chez les jeunes.

Karine Vanasse n’avait que 13 ans lorsqu’elle tourna Emporte-moi sous la direction de Léa Pool. Elle y jouait avec une aisance remarquable une adolescente attirée par les filles et… par la prostitution. À peine 10 ans plus tard, à la suite d’un portrait de Steve Proulx dans Elle Québec, on lui accole l’image d’une jeune femme asexuée, image dont elle ne voudra pas débattre malgré les questions insistantes de Guy A. Lepage à Tout le monde en parle.

Pour la jeune actrice, qui ne s’était jamais sentie jugée par le public et dont les journalistes avaient toujours respecté la vie privée, ce passage a été quelque peu éprouvant. Que dire ou que faire pour prouver le contraire? Sachant depuis six mois que Ma fille, mon ange d’Alexis Durand-Brault, où elle tiendrait le rôle d’une fille modèle flirtant avec la cyberpornographie, allait se tourner, Karine Vanasse ne s’en faisait pourtant pas outre mesure.

"Personne ne s’attendait à ce que je tienne ce genre de rôle, lance celle qui a dû se battre pour jouer Nathalie, et c’est ce que je trouvais intéressant, car personne ne s’attend à ce que ces petites filles qui ont l’air correctes se retrouvent sur Internet."

Afin d’incarner cette étudiante apparemment sans histoire, Vanasse a plongé dans l’univers des danseuses et des actrices pornos, allant même jusqu’à accompagner des policiers pendant une nuit: "L’une des filles que j’ai rencontrées était toute fière qu’on la reconnaisse dans la rue, se souvient l’actrice. Je me suis demandé quel genre de regard elle pouvait souhaiter qu’on jette sur elle. Le film n’y répond pas. Tout ce qu’on m’a demandé, c’est de trouver la brèche. Souvent, ces filles-là le font pour faire chier leurs parents ou leur chum. Les valeurs sont tellement remises en question que tu ne veux même plus les voir. Nathalie s’est tournée vers le cybersexe parce que c’était autour d’elle. Pour d’autres, ce sera la drogue, l’alcool ou le jeu. Tout ça, c’est pour avoir l’impression d’aller au bout de soi-même pour se trouver."

Incarnant le rôle du père de Nathalie, Michel Côté tente une autre explication: "Le geste de Nathalie est celui d’une petite fille moderne, semblable à ceux des garçons qui souhaitent aller à la guerre afin de défier leurs parents et de prouver qu’ils n’ont pas peur de la mort. Nathalie a été élevée dans la ouate par des parents surprotecteurs. Aux yeux de ses amis, elle ne veut plus incarner la fille parfaite; elle veut prouver qu’elle peut couper le cordon ombilical définitivement et s’assumer en tant que bombe sexuelle. Afin de les épater, elle ira encore plus loin qu’eux."

FRANCHIR L’INTERDIT

En quelques clics, volontaires ou accidentels, n’importe qui peut avoir accès à des sites offrant photos et films pornos: "Lorsque j’avais 12 ans, se rappelle le réalisateur, apporter un Playboy en classe, c’était la grosse affaire. Aujourd’hui, les jeunes ont accès à n’importe quoi sur Internet. Je ne juge pas la porno, ni ceux qui la font, ni ceux qui la consomment. Dans mon film, je ne montre que la pointe de l’iceberg; l’important, c’est de dire que tout ça change l’évolution sexuelle des jeunes et que ça banalise beaucoup la sexualité. C’est pour ça qu’on a choisi un personnage de petite fille parfaite, qui, même si elle se fait manipuler par son chum (Nicolas Canuel), y va de son plein gré. J’ai choisi d’illustrer un milieu légal où l’on retrouve des adultes consentants."

Ce milieu, où l’on a bien accueilli l’équipe du film, Durand-Brault a voulu le reproduire fidèlement à l’écran – en omettant quelques détails afin d’éviter de voir son film coté 18 ans et plus. Celui qui se dit incapable d’aller revisiter un site porno confie: "Je ne pense pas que tu puisses faire un bout dans ce monde sans être émotionnellement magané. Dans chaque milieu, il y a des problèmes, le travail influence beaucoup nos vies. Les filles que j’ai rencontrées n’avaient pas l’air fuckées. J’en ai tellement vu que je ne sais plus quoi penser!"

Karine Vanasse poursuit: "Pendant tout le travail de préparation, tu ne peux pas te permettre de juger. Pendant le tournage, nous, les filles sur le plateau, on a fait comme si de rien n’était, mais à un moment donné, en regardant ces filles-là, en voyant les regards qu’elles attiraient, on se demandait pourquoi on ne pouvait pas provoquer ces mêmes regards; mais au fond, on ne souhaitait pas se faire regarder ainsi. Quand je vois cette scène où Nathalie danse, elle a beau avoir un grand sourire, on n’a pas le goût de sourire avec elle, car on le sent qu’elle n’est pas si heureuse que cela. Faut que tu te cherches en maudit pour oser faire ça!"

Michel Côté voit la chose ainsi: "Pour les jeunes de 14 ans qui en ont tellement vu, la cyberpornographie, ce n’est pas grand-chose. Pour les hommes de ma génération, de même que pour les plus jeunes pères, ce sont des valeurs très importantes. S’exhiber sur Internet, ce n’est pas si grave, mais c’est très malsain. La culpabilité s’installe chez mon personnage lorsqu’il réalise que ces filles-là aussi ont un père."

CYBERSTARS

La cyberpornographie est une industrie très lucrative et Montréal n’y fait pas exception. Peu importe le rapport qu’ils entretiennent avec cet univers, tous s’entendent pour dire qu’il contribue à banaliser la sexualité: "BrunoB, qui dit faire le meilleur métier du monde, et Christine Young, qui gérait toute seule sa carrière et son site porno, sont des stars, des icônes, mais sont-ils des modèles pour les jeunes? se demande non sans inquiétude Durand-Brault. Si on tombe là-dedans, on est dans le trouble! Jocelyne Robert a beaucoup parlé des jeux sexuels entre ados. Il va falloir que les parents réalisent que ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas Internet à la maison que leurs enfants n’y ont pas accès. Je souhaite que les jeunes tripent sur l’aspect thriller du film puis entament le dialogue avec leurs parents. J’ai essayé de ne pas faire trop voyeur et ça me ferait bien de la peine qu’on souhaite voir le film que pour voir Karine se déshabiller."

Carburant au romantisme et à la séduction, Michel Côté conclut avec optimisme: "Les ados savent beaucoup de choses sur la sexualité, mais pas dans le bon ordre. Je sais que c’est pas correct ce qu’ils font, que ça banalise la sexualité, mais ils seront les premiers à en payer le prix. Ils devront faire le trajet à l’envers afin de récupérer des sentiments amoureux valables. Et ça, ça se fait naturellement. Un jour, ils auront eux aussi des papillons dans le ventre… J’ai confiance en la nature humaine."

C.V.

Alexis Durand-Brault amorce sa carrière en publicité comme rédacteur avant d’y devenir directeur photo puis réalisateur. Celui qui vient de signer la nouvelle campagne de la SAAQ s’est également illustré comme directeur photo pour la télésérie Un homme mort de Sophie Lorain et le film Elles étaient cinq de Ghyslaine Côté, pour lequel il a reçu une mise en nomination aux prix Jutra. Ma fille, mon ange, son premier long métrage, a été choisi pour ouvrir les 25es Rendez-vous du cinéma québécois. (M. Dumais)

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MONTRÉAL, VILLE OUVERTE

Max (Pierre-Luc Brillant), un jeune homme qui filme ses ébats sexuels pour ensuite les diffuser sur Internet, est retrouvé mort au moment où il devait tourner une vidéo avec Nathalie (Karine Vanasse), ce qui fait d’elle le suspect principal de la police. Le scénario jouant avec la chronologie des événements, l’enquête post-mortem de l’inspecteur Derennes (Christian Bégin) est croisée avec celle menée quelques jours auparavant par le père de Nathalie (Michel Côté), alors qu’il découvre que sa fille s’apprête à faire de la porno et tente de la retrouver avant qu’il ne soit trop tard.

Ma fille, mon ange est probablement inspiré de l’histoire de la fille danseuse nue de l’ex-ministre Marc Bellemare, avec en plus une incursion dans l’industrie florissante des sites pornographiques québécois comme celui de BrunoB, qui fait d’ailleurs un caméo dans le film. Le sujet est intrigant mais abordé de manière trop solennelle. On aurait aussi pu se passer du ton moralisateur, digne d’une émission de ligne ouverte, qui renforce les préjugés voulant que Montréal soit une grande méchante ville et que les adolescentes portant des g-strings vont toutes devenir strip-teaseuses.

Le film a tout d’un épisode d’Un homme mort, léché, bien huilé, efficace, série où Alexis Durand-Brault (qui réalise son premier long métrage) oeuvrait justement comme directeur photo et dont Vanasse était déjà la vedette. L’actrice est ici un peu trop sage, faute qui revient peut-être au scénario de Pierre Szalowski. À ses côtés, Laurence Leboeuf est beaucoup plus stimulante en meilleure amie cocaïnomane et Côté, égal à lui-même, parvient à nous faire ressentir la douleur du père. (K. Laforest)

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