Dans les villes : Quatre personnages en quête de hauteurs
Cinéma

Dans les villes : Quatre personnages en quête de hauteurs

Dans Dans les villes, Catherine Martin entremêle le destin de quatre personnages esseulés, souffrant au sein d’une ville par trop souvent austère. Rencontre avec une cinéaste de l’émotion qui se démarque par sa démarche sensible et sensée.

Une adolescente volontairement muette qui se sent une attirance irrépressible pour la mort, un homme aveugle qui prend des photos pour immortaliser la beauté des choses, une dame âgée qui sent la fin approcher, une jeune femme qui pleure la nuit, sans trop savoir pourquoi. Comme l’oeuvre qui en est ressortie, le processus de création ayant mené au Dans les villes de Catherine Martin aura été une série de morceaux, lesquels auront finalement fini par parfaitement s’emboîter les uns dans les autres: "C’était quelque chose d’assez mystérieux, se remémore la réalisatrice avec un sourire. Je venais de terminer Mariages et Océan, et je me suis dit: "Bon. Qu’est-ce que j’aurais à dire maintenant?" Il m’est venu des images, des impressions, des urgences… En fait, surtout un sentiment: ce sentiment très fort que j’ai quand je me promène dans la rue, et que je vois des gens qui souffrent. Ça me bouleverse, et en même temps, je ne peux rien faire. C’est un sentiment mêlé de compassion et d’une sorte de révolte face à cette souffrance-là. Ça m’habitait depuis longtemps, et je me suis demandé comment je pourrais l’exprimer, le transmettre avec le cinéma, ce sentiment-là. Et là, un de mes courts métrages, fait d’une quinzaine de petits tableaux, m’est revenu en tête. Le dernier tableau du film montrait une jeune femme se réveillant la nuit, et pleurant pour ceux qui ne savent pas, ceux qui ne peuvent pas pleurer. J’ai eu envie de développer ce personnage-là…"

Ce personnage-là, c’est celui de Fanny. Interprétée avec force par Hélène Florent, Fanny symbolise le pivot central, le noyau autour duquel se meuvent les autres protagonistes de ce récit: la désillusionnée et dépressive Carole (Ève Duranceau, intense), la triste et mourante Joséphine (Hélène Loiselle, touchante) ainsi que le sensible et compréhensif Jean-Luc (Robert Lepage, excellent). "Ensemble", ils évoluent, errent, espèrent, au sein d’un paysage souvent sévère.

La nature des villes est ainsi un thème essentiel. Au sens figuré, bien sûr. Mais aussi au sens propre. Car malgré l’urbanité omniprésente, son antithèse occupe aussi une place prépondérante: "J’ai l’impression qu’on ne peut jamais se couper complètement de la nature, confie Catherine Martin. Je ne suis pas une fille qui a grandi à la campagne; je vis à Montréal depuis longtemps… Mais ma relation avec la nature est très forte. Dès que je me retrouve en forêt, près de la mer, d’une rivière, on dirait que ça m’incite à me plonger en moi-même, mais aussi à sortir de moi. C’est là où je me dis: on vient de la nature, et on y retournera. Faire du mal à un arbre, c’est un peu comme se faire mal à soi…"

Le film évoque notamment les fléaux de froideur et d’indifférence qui ravagent les villes. Quand on lui mentionne cette vision très sombre de l’urbanité qui se répercute dans cette oeuvre, la réalisatrice s’exclame: "C’est drôle, car pour moi, c’était un film qui se terminait dans la lumière. La ville, c’est le lieu de tous les possibles: un alliage entre la solidarité entre les êtres et la terrible dureté qu’on s’inflige parfois les uns aux autres."

Certes, cette oeuvre, toute en lenteur et en silences, risque de faire autant d’amateurs que de détracteurs. Consciente de ce risque amené par la primauté de l’émotion sur l’action, la réalisatrice conclut: "Je fais mes films en fonction de mon art, car j’ai encore dans l’idée que le cinéma est un art avant tout. Et l’art est accessible à tout le monde. Il s’agit juste de s’ouvrir, de s’abandonner… C’est comme ça que j’ai envie de faire du cinéma: proposer du sens afin que le spectateur, en ressortant, ait ressenti quelque chose, plutôt que d’avoir compris…"

C.V.

Après des études en cinéma et en photographie à l’Université Concordia de Montréal, Catherine Martin a exercé le métier de monteuse pendant quelques années. Depuis 1985, elle a scénarisé et réalisé de nombreux courts, moyens et longs métrages, alternant entre le documentaire et la fiction. En 2001, son premier long métrage de fiction, Mariages, a remporté le prix du meilleur scénario au 25e Festival des films du monde de Montréal et a également été sacré meilleur long métrage québécois de l’année 2001 par l’Association québécoise des critiques de cinéma. Cette année, Catherine Martin livre presque simultanément deux oeuvres: le film de fiction Dans les villes, ainsi que le documentaire L’Esprit des lieux, dont la sortie est prévue pour le mois de mars.

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