The Wind That Shakes the Barley : Frères d’armes et de sang
Palme d’or à Cannes, The Wind That Shakes the Barley illustre puissamment la guerre dans toute sa laideur. Rencontre avec Ken Loach, Paul Laverty et Cillian Murphy.
"Je savais qu’il s’agissait d’une histoire qui était arrivée il y a environ deux générations, explique Cillian Murphy, rencontré au Festival du film de Toronto, mais pour moi qui ai grandi dans les années 80 et 90, j’étais davantage informé à propos des troubles en Irlande du Nord grâce à la télé; nous avions l’impression que ça ne nous regardait pas, qu’il s’agissait d’un autre pays. Pourtant, ma propre famille a été directement touchée par les événements, car le cousin de mon grand-père, qui faisait partie des Flying Columns (ndlr: unités de combat de l’Armée républicaine irlandaise), a été fusillé durant cette guerre."
Cette guerre, c’est la guerre civile qui déchira l’Irlande au début des années 20, après qu’elle eut acquis son indépendance à la suite du traité signé entre l’Irlande et la Grande-Bretagne. Cette guerre, le réalisateur anglais Ken Loach et le scénariste irlandais Paul Laverty ont décidé de l’illustrer à travers le destin tragique de deux frères (Cillian Murphy et Padraic Delaney), ce qui n’empêche pas The Wind That Shakes the Barley de comporter des éléments féminins très forts.
Interrogé au Festival de Cannes, Loach se souvient: "L’une des actrices m’a dit que son arrière-grand-mère avait été magistrate à la cour républicaine, comme l’un des personnages féminins du film. Je ne saurais dire combien de femmes ont été impliquées à l’époque, mais il y en avait assez pour justifier ici leur présence significative."
Si les Irlandaises seront fières de constater que leurs mères et grands-mères firent preuve de courage durant cette terrible période, les Anglais, en revanche, n’aimeront guère se voir à l’écran en barbares vulgaires et sanglants. Cependant, Loach se défend bien d’avoir signé un film anti-britannique.
"On dit que dans le film, les Irlandais ont le coeur tendre et les Anglais, pas du tout, note le réalisateur. Et pourtant, dans plusieurs scènes, nous montrons la brutalité et la sauvagerie des Irlandais. On dit aussi que les personnages anglais sont littéralement noirs. Prenez cet officier anglais qui craque sous la pression: ses soldats et lui sont des vétérans de la Première Guerre mondiale, l’une des plus violentes et traumatisantes; évidemment, cela n’excuse pas leur comportement."
En tournant ce film, l’une des choses auxquelles tenait Loach, c’était de respecter la grande mémoire du peuple irlandais. C’est pourquoi il a demandé aux interprètes des Black and Tans (ndlr: milice anglaise), des anciens militaires, de se comporter comme ils l’auraient fait à l’époque.
Loach poursuit: "L’impérialisme a rendu les Anglais insensibles à la culture des autres, c’est pourquoi la langue anglaise est si répandue. La scène où l’on force un garçon à dire son nom irlandais en anglais le démontre bien."
À propos de cette mémoire, Paul Laverty, également croisé à Cannes, avance: "Je pense que toute personne ayant vécu une période difficile possède une grande mémoire. Je me rappelle avoir visité un petit musée où l’on racontait l’histoire de cette vieille femme qui avait été chassée de chez elle, comme la grand-mère du film. Ce sont des événements qui s’incrustent dans la mémoire. Puisque l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs, la tradition orale et musicale est très forte en Irlande et son paysage est imprégné de ses souvenirs. C’était très important pour nous d’apporter cette dimension au film avec des chansons et de la poésie. Cette époque a été très florissante à cet égard puisque ce sont les modes d’expression des démunis."
Enfin, pour pleinement apprécier ce grand film historique, révisez vos connaissances sur les conflits entre la verte Érin et la perfide Albion: "C’est un moment peu connu de notre histoire puisqu’il est peu reluisant pour nous, Irlandais; quant aux Anglais, je ne crois pas qu’ils le connaissent si bien non plus. Moi-même, j’ignorais bien des choses puisque Loach ne donne jamais le scénario aux acteurs", rassure l’acteur irlandais.
En salle le 16 mars