La Vie en rose : Piaf chanterait du rock
Dans La Vie en rose, d’Olivier Dahan, Marion Cotillard se glisse dans la peau d’Édith Piaf, reconnue pour son intensité à la ville comme à la scène. Impressions du réalisateur et de l’actrice.
"Piaf chanterait du rock", a déjà écrit Plamondon. L’hypothèse du créateur de Starmania tient-elle la route? "Je pense, oui. Elle était assez punk, Piaf", répond Marion Cotillard, jointe au téléphone.
La comédienne est bien placée pour se prononcer. Après tout, elle a "fait corps" avec "la môme" pendant quatre mois de tournage.
L’expérience impliquait un investissement important, sur les plans physique et émotif. "Effectivement, c’est ce qu’on appelle un rôle de composition, confirme Marion Cotillard. Il y avait tout un personnage à construire sur des bases réelles. La première étape était de découvrir sa vie, ses chansons, les films qu’elle a faits."
Il a ensuite fallu "déboulonner l’idole". Marion Cotillard a eu à "dépasser l’admiration" qu’elle vouait à la chanteuse: "Quand on admire quelqu’un, il y a une distance. Il fallait que je parcoure cette distance pour savoir qui Piaf était profondément. J’ai ainsi découvert la face de lumière, mais la face sombre aussi."
À cette réflexion s’est ajoutée une phase de travail plus technique: il s’agissait d’assimiler la "manière" Piaf. "Je décortiquais la chanson, avec les silences, les longueurs de note, les respirations… C’était très difficile", admet la comédienne.
ÉPUISANT, MAIS ENRICHISSANT
"Ça a été un tournage assez épuisant, conclut-elle. J’ai tourné pendant quatre mois. Pour Piaf sur la fin de sa vie, il y avait cinq heures de maquillage, une heure et demie de démaquillage…" L’effort fourni a toutefois été récompensé: "Il y a un tel cadeau au bout, une telle joie de faire le métier que ça vaut quelques heures d’inconfort."
Quand on lui demande si elle retravaillerait avec Olivier Dahan, Marion Cotillard répond tout de go… "Ah! mais alors là, demain! Tout de suite! Hier (rires)!" Son rapport avec le cinéaste s’est appuyé sur un respect mutuel et s’est développé dans la simplicité: "La communication était tellement limpide qu’on n’avait même pas besoin de se parler sur le plateau."
Cette collaboration féconde a amené la comédienne à se dépasser. Le rôle de Piaf est un rôle important, qui la pousse encore davantage sous les feux de la rampe. D’où une certaine pression, peut-être? "J’ai pas mal de recul par rapport à tout ça, répond posément Marion Cotillard. J’ai appréhendé petit à petit ce phénomène d’être mise en lumière. À partir du moment où ça apporte de belles rencontres et de belles histoires à raconter, c’est tout à fait apprivoisable."
"CHEZ ELLE, L’ART ET LA VIE NE FONT QU’UN"
Depuis sa chambre d’hôtel d’Amsterdam, Olivier Dahan nous explique ce qui constitue l’essence du "personnage" Piaf: "Elle a été dans les extrêmes, a mélangé son art et sa vie de manière continue. Elle n’a jamais fait la différence entre les deux. C’est ce que devrait être tout artiste."
Édith Piaf s’est éteinte en 1963, mais elle n’a jamais été oubliée. Aujourd’hui, son fan club réunit des gens venus d’horizons divers. Olivier Dahan confirme: "J’étais à New York récemment et j’ai parlé avec Bono. Il est fan. Pourtant, leurs univers musicaux sont très éloignés. La preuve que Piaf passe les frontières…"
Pour Olivier Dahan, ce phénomène est attribuable à deux choses: "La qualité des musiques et des textes. Et l’interprétation de ces chansons, qui est exceptionnelle, affirme-t-il. Elle était tellement sincère et tellement dans son art que ça ne peut que traverser les époques."
Pour La Vie en rose, Olivier Dahan fait revivre brillamment le répertoire de "la môme". L’utilisation des chansons est judicieuse. Le réalisateur a résisté à la tentation de faire un film juke-box. "J’ai essayé de ne pas frustrer les gens – c’est quand même la vie d’une chanteuse – tout en faisant attention de ne pas les ensevelir. Piaf, le meilleur moyen de l’entendre, c’est encore les disques."
D’ailleurs, Dahan se réjouit à l’idée que les gens aient envie d’entendre Piaf en sortant du film: "Si on peut écouter même les chansons connues de manière différente, avec une charge émotionnelle plus grande, je serai content."
EN ROSE ET NOIR
Destin éminemment romanesque que celui d’Édith Piaf, qu’on dirait arraché aux pages de Balzac ou de Zola. Enfance difficile, marquée par la maladie et le rejet. Abandonnée par sa mère, elle sera élevée dans un bordel. Elle développe ses cordes vocales dans la rue, avant de connaître une carrière scénique époustouflante. Tombe amoureuse du boxeur Marcel Cerdan, marié et père de famille, qui ne lui appartiendra jamais.
Intense, passionnée, entière, Piaf a vécu en brûlant la chandelle par les deux bouts. Usée prématurément, elle s’est éteinte à l’âge où d’autres commencent à fleurir.
Cette vie formidable, Olivier Dahan en a tiré un film biographique de belle facture. Reconnu pour sa touche plastique, le réalisateur des Rivières pourpres 2 signe une oeuvre très forte sur le plan visuel. La caméra se déplace parfois avec une fièvre reflétant le caractère de la Diva. Les lieux recréés sont dotés d’une âme qui leur est propre. La palette chromatique déployée éblouit les mirettes.
On sera aussi agréablement surpris par le scénario, écrit par Dahan. La matière était là, il s’agissait d’en extraire un récit à la hauteur du personnage. On fait découvrir les années de jeunesse, moins connues. On retrace aussi le parcours musical. La ligne temporelle est fracturée. Les bons en avant et les retours en arrière donnent du relief à l’affaire.
Enfin, c’est le travail d’interprétation de Marion Cotillard qui émeut. Le rôle est épousé brillamment, avec un abandon, une rigueur, une émotion superbes.
Zut: et on ne vous a rien dit de la musique…
C.V.
Née de parents comédiens, Marion Cotillard vit très jeune l’expérience des plateaux. Sa carrière démarre pour de bon dans L’histoire du garçon qui voulait qu’on l’embrasse, en 1994. Par la suite, elle fait du millage grâce aux trois films de la série Taxi (entre 1998 et 2003). Pour Un long dimanche de fiançailles (2004), elle reçoit le César de la meilleure actrice dans un second rôle. La même année, elle apparaît dans Big Fish, de Tim Burton. Plus récemment, on l’a vue aux côtés de Russell Crowe dans A Good Year.
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