Bamako : L’Afrique appelle
Avec Bamako, Abderrahmane Sissako signe une oeuvre intelligente, mêlant habilement discours politique et forme originale. Rencontre.
Suivre un procès n’a rien de palpitant, pourtant, celui que filme Abderrahmane Sissako (En attendant le bonheur) dans Bamako a tout du grand théâtre. Il faut dire qu’on n’est pas dans un froid palais de justice, mais dans l’une des plus belles cours, en plein air, où les plaidoiries se succèdent au rythme du couic-couic des pantoufles d’un bambin.
Le cinéma, hollywoodien surtout, ne s’est jamais privé d’histoires de procès, ceux-ci servant souvent, cependant, de toile de fond à une intrigue plus romancée. Ce n’est pas le cas ici: on n’est pas à Los Angeles, mais à Bamako, capitale du Mali.
C’est le procès du siècle, du millénaire même. La société africaine poursuit le FMI et la Banque mondiale, accusés d’exploiter sans vergogne le continent noir. En fait, tout l’Occident est dans la mire. Pour le réalisateur mauritanien, formé à l’école soviétique et régulièrement présent sur la scène européenne (Bamako a connu sa rampe de lancement à Cannes), il est grand temps d’écouter l’Afrique.
"On est à un moment tournant, avec la mondialisation. Il était important de faire ce film maintenant. L’écoute est possible", dit Abderrahmane Sissako, venu faire la promotion de Bamako à Montréal, comme il le fera à Buenos Aires et Washington prochainement. Le réalisateur et scénariste de 45 ans croit sincèrement pouvoir sensibiliser le monde entier. "C’est un propos interpellant l’humanité. Ça dépasse l’Afrique", lance-t-il.
Pour Sissako, l’art est une arme de persuasion massive. Certains cherchent à séduire par la musique, lui, par le cinéma. Aux États-Unis, il espère entamer un dialogue constructif avec les gens du FMI, à qui Bamako aura été montré.
En titillant la forme documentaire, avec ses "véritables" témoins à la barre, cette fiction… en restera une. Son auteur, bien qu’il se dise habité d’espoir, est convaincu qu’un tel procès est impossible: "Quand on impose une politique de développement à des centaines de millions de gens, que cette politique échoue depuis 25 ans et que ces gens n’ont pas le droit de s’y opposer, on est dans une situation où il n’y a pas de justice réelle. C’est ça qui amène un artiste, forcément, à inventer une justice."
Son tribunal imaginaire, Sissako l’a planté dans la cour d’une maison bien africaine, inspirée surtout par celle de son enfance. "J’avais envie depuis longtemps, confie-t-il, de mettre en images les discussions que j’avais avec mon père et mon frère."
"Une cour africaine, c’est comme ça, poursuit-il. Une porte ouverte. Les gens rentrent et sortent, même l’informel rentre, des vendeurs de lunettes, par exemple. C’est moi qui la ferme avec mon dispositif cinématographique."
La caméra montre toutes ces vies qui fourmillent autour de la cour. Cour domestique devenant, le jour, cour de justice. Arène de joutes oratoires, où les meilleures plaidoiries sont de véritables poèmes – la dernière intervention est un bijou. Agora publique aussi, salon funéraire même. Le lieu a multiples fonctions, de multiples visages, comme la société. Ce qui fait dire au cinéaste que "la cour est une Afrique miniature".
Pour ceux qui craignent un film imbibé de paroles, rassurez-vous. Abderrahmane Sissako a eu la bonne intuition de faire évoluer le procès en alternance avec des silences, des plans davantage contemplatifs, mettant en scène la ville au quotidien, des trames secondaires et de sublimes paysages. Tout en crescendo, le récit central ne bénéficie pourtant pas d’une simple narration.
C’est son film "le plus frontal" dans son contenu politique, selon Sissako. C’est pourquoi il a créé cette forme, "pour (se) sauver". "C’est comme si je renonçais au cinéma spectacle", conclut-il.
Ode à l’Afrique, mais aussi à l’humanité et à la solidarité, Bamako ne se contente pas de militer pour une cause. En fait si, pour une: un autre cinéma.
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