Le Caïman : Moi, moi-même et Berlusconi
Cinéma

Le Caïman : Moi, moi-même et Berlusconi

Dans Le Caïman (Il Caïmano), Nanni Moretti règle ses comptes avec Silvio Berlusconi.

Brûlot brûlant, ce Caïman? Oui et non. D’abord, pour ceux qui seraient rebutés à l’idée de voir un film où l’on critique Silvio Berlusconi, ce politicien qui dirigeait trois stations de télé lorsqu’il était au pouvoir, sachez que cette satire politique se veut aussi un hommage au cinéma et une histoire d’amour, celle de Bruno (Silvio Orlando, bouffon émouvant), réalisateur de films de série B pour sa femme qu’il refuse de voir partir, et dont la rencontre avec l’aspirante scénariste-réalisatrice Teresa (Jasmine Trinca), qui lui proposera de tourner un film sur Berlusconi, sera déterminante pour sa carrière chancelante.

Dans Le Caïman, Moretti s’amuse donc à questionner l’art et la politique plutôt que de s’attaquer directement à Berlusconi comme il avait prévu le faire. En résulte un film jouissif où le cinéaste prend plaisir à signer des pastiches de films psychotroniques, à souligner à grands traits le ridicule de Berlusconi (Elio de Capitani) dans la version du Caïman imaginée par Bruno, et à personnifier de façon inquiétante cet homme qu’il a tant décrié dans le film de Teresa.

Bien que le réalisateur ne se soit pas réservé le premier rôle, comme il en a l’habitude, l’on retrouve tout de même avec joie la signature de Moretti, celui qui critique avec ferveur le système politique, celui qui n’hésite pas à insuffler une touche d’absurdité à la simplicité de l’ensemble, celui qui dévoile sans pudeur ses angoisses existentielles. En fait, le cinéaste palmé à Cannes pour sa sublime et bouleversante Chambre du fils signe une satire politique si intelligente, divertissante et irrévérencieuse que l’on regrette que pas plus de réalisateurs s’adonnent à la critique sociopolitique. Devrions-nous blâmer la censure ou un désintérêt de leur part?

Enfin, si Moretti n’a jamais prétendu faire des films pour changer le monde, ce réalisateur qui s’est fait remarquer en 1976 avec Je suis un autarcique, dans lequel il critiquait la gauche, ne se cache pas d’avoir parlé de Berlusconi pour lui-même et non pour le spectateur – rappelez-vous ses réflexions à voix haute dans Caro Diario et Aprile, où il joignait brillamment l’intime au politique -, pourtant, et c’est peut-être une coïncidence, peu après la sortie du Caïman, Berlusconi perdait ses élections…