L'Ombre fragile des choses : Collages
Cinéma

L’Ombre fragile des choses : Collages

L’Ombre fragile des choses est le nouveau film de Jacques Giraldeau, absent des écrans depuis 12 ans. C’est aussi son plus personnel, son plus lyrique. Tête-à-tête.

L’année 2007 est celle de ses 80 ans. Ainsi que de sa première véritable rétrospective – sa première à la Cinémathèque, en tout cas. 80 chandelles, une quarantaine de courts et longs métrages à son carnet… Jacques Giraldeau ne s’est pourtant pas encore tu. L’année en cours est aussi celle de la sortie de L’Ombre fragile des choses, son premier film depuis 1995.

Fait avec le même regard attentionné pour les arts, et les objets, le nouveau film est construit tel un carnet personnel, un collage d’idées. Le cinéaste livre ses pensées en puisant dans ses propres archives, ressuscitant en particulier Les Petites Médisances, coréalisé en 1954 avec Michel Brault. Jacques Giraldeau admet signer avec L’Ombre fragile des choses son oeuvre la plus personnelle.

Film testament? Il esquisse un sourire, prend le temps d’avaler sa gorgée de café et répond par la négative. Non seulement il ne croit pas avoir dit son dernier mot, mais l’intention n’était pas de revoir sa filmographie, d’évaluer son legs artistique.

La rétrospective se chargera de ça. "J’espère que les plus jeunes apprécieront", dit-il simplement.

"J’ai voulu filmer le rien, dit-il au sujet de L’Ombre fragile… Pour montrer que derrière les objets, derrière la réalité, il y a des choses qui peuvent nous rejoindre. Spirituellement. En 1965, j’ai fait la Forme des choses (sur le Symposium de sculpture sur le mont Royal). Aujourd’hui, je parle de leur ombre. Les choses s’imposent, mais de manière moins précise."

Le tournage a duré sept ans, Giraldeau ayant procédé comme à ses débuts, déambulant un peu partout, caméra en main. Caméra numérique, pour une première fois. Après quelques années d’inactivité, il a senti un appel intérieur. "La caméra me manquait, dit-il. Je voulais savoir où j’en étais. Je voulais avoir de mes nouvelles."

Le recours aux Petites Médisances, premier collage offrant un portrait du Montréal urbain, du Québec d’autrefois, est comme un clin d’oeil à cette manière très Cartier-Bresson de filmer.

"Les Petites Médisances a été précurseur du cinéma direct, estime son auteur. Les Raquetteurs (Michel Brault et Gilles Groulx) est sorti quatre ans après."

L’Ombre fragile n’offre peut-être pas de testament, il n’est pas moins un document qui fait l’histoire, qui brasse les souvenirs. Outre cette redécouverte des Petites Médisances, Jacques Giraldeau revient sur son film précédent, Blanc de mémoire (1995), en ramenant le peintre au coeur de l’intrigue d’alors, un certain Évariste Quesnel.

"Ce n’est pas un film sur l’art, mais sur la vie", lance-t-il d’emblée. Et encore. Ni documentaire ni fiction, peut-être les deux à la fois.

Récipiendaire du Prix du Québec en 1996, honoré au Festival international du film sur l’art l’année précédente, Jacques Giraldeau est inclassable. "Les grandes catégories ne correspondent pas à ce que je fais, note-t-il lui-même. Comme je parle souvent d’art, ce sont sûrement des fictions, comme la peinture. En même temps, quand on fait l’histoire de la peinture, on revoit l’histoire de l’humanité."

Comme tout bon collage, celui-ci n’est pas parfait. Il y a un grand nombre de ruptures, le scénario imposant des changements d’univers presque antagoniques. Tantôt une caméra, fixe, filme des natures mortes à contre jour, admirablement. Tantôt on suit le réalisateur-narrateur de dos (du moins imagine-t-on qu’il s’agit de lui) à la recherche de son mystérieux Quesnel. Obscur ami qui lui tend des faux rendez-vous, autant à Cuba que dans le Bas-Saint-Laurent. Au final, c’est un voyage en quatre saisons auquel on est convié.

Ces sauts dans le temps et dans l’espace offrent de belles réflexions sur la vie, la mémoire, la création. La (re)découverte des Petites Médisances évoque très bien cette fragilité des choses. Aussi, Giraldeau ressort un cahier personnel d’une tante qui nous replonge, à travers la voix d’Élise Guilbault, dans les années 1920.

Giraldeau n’est pas qu’un octogénaire nostalgique. Dans ses nouvelles images, il nous montre qu’il peut aussi être sensible aux formes artistiques actuelles. Il faut le souligner, tellement le cinéma d’aujourd’hui, au Québec, semble peut interpellé par l’art contemporain. C’est quand même étonnant de voir ici (enfin), sur grand écran, une intervention de l’Action terroriste socialement acceptable.

Son intérêt pour les arts, Giraldeau l’a toujours cultivé. Dans les années 1970, il s’y est intéressé pour son impact social, attiré par le désir des artistes de se rapprocher du public. Mais la véritable piqûre, il l’a eue dans les années 1940, lorsqu’il fréquentait le groupe automatiste. Son meilleur souvenir? Le cidre de Saint-Hilaire que Borduas apportait à chaque rencontre. L’art, c’est aussi la vie.

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Blanc de mémoire de Jacques Giraldeau