La Lâcheté : Cas de conscience
Cinéma

La Lâcheté : Cas de conscience

La Lâcheté examine un fait divers ancien en adoptant un angle moral intéressant. Son réalisateur, Marc Bisaillon, nous explique le pourquoi et le comment.

L’histoire, c’est celle d’un gardien de cimetière malheureux en ménage qui, par amour pour une prostituée, trempe dans une affaire d’enlèvement au dénouement tragique. Ça s’est passé au début des années 60, dans la région de Shawinigan. Un fait divers taillé sur mesure pour les pages d’Allô Police… "Tout à fait, corrobore Marc Bisaillon, qui admet avoir épluché la défunte publication pour nourrir son scénario. J’ai trouvé aux Archives nationales tous les numéros de 1961 jusqu’à 1977, année où le fossoyeur a publié sa version des faits."

Assis derrière un jus de carottes au bien nommé café Les Entretiens, le réalisateur raconte ce qui l’a intéressé dans ce sombre récit. En lisant les confessions du fossoyeur, Marc Bisaillon se rappelle avoir été marqué par le fait que, "contrairement à tous les détenus qui sont innocents, lui s’accusait au moins de lâcheté".

Plutôt que de mettre l’accent sur les détails les plus sordides, Bisaillon a choisi d’explorer la psychologie du protagoniste. "Je voulais vraiment aborder l’histoire du point de vue du personnage central. J’ai toujours trouvé intéressant de présenter un personnage qui a une humanité trouble."

Pour interpréter cet homme tourmenté, le cinéaste a retenu les services de Denis Trudel, garçon polyvalent découvert (par la majorité) dans Octobre de Pierre Falardeau. "Quand j’écrivais mon scénario, c’était Denis à 90 %. Il a fait un travail extraordinaire pour incarner un personnage très ingrat", confie Marc Bisaillon. Conrad Tremblay, fossoyeur de son métier, est un type peu loquace, mal marié, épileptique… et lâche. Ingrat n’est pas le mot.

À la lecture du script, Trudel accepte la job. Sans réaliser que le film est basé sur une histoire vraie survenue à Shawinigan… sa ville natale! "Son père et son grand-père étaient voisins du fossoyeur, rapporte Marc Bisaillon. Disons que les Trudel, à Shawinigan, attendent le film…"

PETIT BUDGET

Réalisé avec une somme modeste, La Lâcheté a été filmé en 21 jours. Tournage efficace, bien organisé, sans mauvaise surprise. Une bonne partie du budget a servi à recréer – efficacement – la toile de fond matérielle (mobilier, garde-robe, trame sonore, etc.) du terroir québécois de l’époque.

L’approche narrative même de La Lâcheté est plutôt économique. Souvent, on suggère les choses au lieu de les appuyer (le réalisateur possède un beau sens de l’ellipse). Bien que traversé par l’incontournable enquête policière, le récit fait une large place au tourment de Conrad qui, croyant reconnaître en Madeleine (Hélène Florent, méconnaissable) la femme de sa vie, commettra des actes irréparables.

Actes qui le tourmenteront jusqu’à sa mort. "Le gars s’est demandé si c’était ça le grand amour. Cela dit, il ne se pardonnera pas la lâcheté dont il a fait preuve", dit Marc Bisaillon.

Soulignons en terminant la conclusion fort satisfaisante, qui s’ouvre à l’interprétation au lieu de refermer les livres. Marc Bisaillon se garde bien d’étayer le dénouement, bien que connu et documenté, de la véritable histoire du fossoyeur de Shawinigan. Au spectateur d’aller déterrer les détails…

C.V.

Dans une vie parallèle, Marc Bisaillon est musicien. Il a chanté et tenu la basse pour le groupe Les 3/4 Putains de 1988 à 2003. Il a maintenant un nouveau groupe, Léopold Z, qui, si les astres sont favorablement alignés, devrait lancer un deuxième album l’automne prochain. Pour La Lâcheté, son premier long métrage à titre de réalisateur, Marc Bisaillon s’est aussi fait scénariste et producteur. Sa feuille de route compte par ailleurs deux courts métrages, SPCE, tourné en 2002, et Y’en n’a pas comme nous!, sorti en 2004. Il vient de terminer la réécriture de La Vérité, un long métrage pour lequel il a bien l’intention de retravailler avec Denis Trudel et Geneviève Rioux (qui campe l’épouse du fossoyeur dans La Lâcheté).

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COMME UNE MADELEINE

photo: Doyon-Rivest / www.doyon-rivest.com

Ce qui, de prime abord, attirait Hélène Florent dans La Lâcheté, c’était le coefficient de difficulté de son rôle, inspiré, certes, d’une jeune femme ayant réellement existé, mais dont elle a choisi de faire abstraction dans ce contexte de fiction. "Plus un personnage est loin de nous, plus il est compliqué et a des défauts, plus on a le goût de le faire. Je n’avais jamais rien interprété de tel. En fait, je suis tombée amoureuse de Madeleine parce qu’elle était différente de moi et colorée. C’était un défi d’arriver à incarner sa dualité, c’est-à-dire que c’est comme une enfant gâtée, elle est enjouée et naïve, mais quand elle n’a pas ce qu’elle veut, elle fait des crises." Ainsi a-t-elle cherché à rendre cette prostituée exubérante non seulement crédible, mais également attachante "malgré tout". "Je devais jouer la vérité, la sincérité de ce personnage. Elle est naïve de penser qu’elle va s’en sortir avec cette histoire de rançon, mais elle y croit. Et elle s’imagine vraiment que cet homme est différent des autres, qu’il pourrait l’amener ailleurs. Quand elle est enjouée, elle est enjouée pour vrai, et quand elle est fâchée, elle l’est pour vrai aussi. Elle ne peut pas n’être qu’une méchante ou une caricature. On doit comprendre pourquoi il est amoureux d’elle si on veut que l’histoire se tienne." Cela dit, elle constate avec bonheur, quant au résultat à l’écran: "Rapidement, je suis arrivée à m’oublier. C’est sûr que, des fois, je vois des affaires que j’aime ou que j’aime moins, mais, en gros, j’étais capable de suivre le personnage et, ça, pour moi, ça veut dire que c’est réussi." (J.Ouellet)