Ne le dis à personne : Éloge de la chère disparue
Cinéma

Ne le dis à personne : Éloge de la chère disparue

Dans Ne le dis à personne, de Guillaume Canet, Marie-Josée Croze hante l’esprit de François Cluzet. Propos d’une actrice comblée par la vie parisienne, le cinéma et la scène.

En novembre 2004, lors de son passage à Tout le monde en parle, où elle était venue promouvoir la comédie romantique de Laurent Tirard Mensonges et Trahisons, Marie-Josée Croze avait surpris les spectateurs par son attitude hyper-décontractée et son franc-parler. Si les uns avaient été charmés par son naturel, d’autres avaient jugé son attitude frivole. Évidemment, les propos des mauvaises langues s’étaient rendus aux oreilles de la dame peu avant son départ pour Paris.

À cause de cet incident, les journalistes québécois envoyés à Paris pour la rencontrer, à l’occasion de la sortie de Ne le dis à personne de Guillaume Canet, se demandaient quel genre d’accueil elle leur réserverait. Celle qui n’a pas oublié les critiques blessantes écrites à son propos – dont l’une voulant que le poisson était meilleur qu’elle dans le Maelström de Denis Villeneuve – a pourtant reçu gracieusement ses compatriotes dans une suite du Grand Hôtel.

Réservée, détendue, voire zen, Marie-Josée Croze savourait sereinement le succès qu’elle connaît depuis le prix qu’elle a remporté à Cannes pour sa prestation dans Les Invasions barbares de Denys Arcand. Depuis ce moment mémorable, vécu en direct chez Christiane Charette, Croze a joué dans une dizaine de films (dont Munich de Spielberg) et a même foulé, à sa grande surprise, les planches à Paris (dans Requiem pour une nonne de Faulkner) – plaisir qu’elle n’avait jamais pu connaître au Québec.

"Je ne suis pas quelqu’un qui prévoit l’avenir, confiait-elle. Par exemple, j’ai tourné Munich, Ne le dis à personne et Jacquou le croquant la même année, et en plus, je préparais le théâtre. Ensuite, je suis allée en tournée, et là j’ai reçu des scénarios, mais rien, rien, rien ne m’intéressait. Donc, je n’ai pas tourné pendant un an. Par la suite, j’ai tourné Le Scaphandre et le Papillon de Julian Schnabel. Mes deux prochains projets sont avec Jean Becker (Deux jours à tuer) et Thomas Vincent (Le Nouveau Protocole)."

PARIS, SI

Si sa carrière française se porte plutôt bien, Croze a ni plus ni moins mis en veilleuse une possible carrière aux États-Unis puisqu’elle trouvait le système trop compliqué. En fait, à l’instar de sa bonne amie Julie Depardieu, l’actrice ne ressent pas l’urgence de jouer à n’importe quel prix. En France, il y a tant de films qui se tournent que la compétition est moins féroce pour les acteurs.

Au moment de la rencontre, son joli visage ornait l’affiche de Jacquou le croquant où elle incarne la mère du héros (Gaspard Ulliel) dans ce film d’aventures de Laurent Boutonnat, tandis que sa fine silhouette se devinait sur celle de Ne le dis à personne.

"Je pense que j’ai un bon instinct pour aller vers les autres, vers des projets que je trouve bien, affirmait-elle. Par exemple, Guillaume Canet n’est pas quelqu’un avec qui j’ai énormément d’affinités artistiques; il aime beaucoup les films de Michael Mann, on est très opposés. Pourtant, lorsque je l’ai rencontré la première fois, j’ai été étonnée de découvrir qu’on avait tous les deux ce côté franc, comique, très honnête, très droit, pratique. Dans la forme, on est différents, mais au fond, on est assez proches."

Dans ce deuxième long métrage de Guillaume Canet, où l’on croise notamment les Nathalie Baye, André Dussollier, Kristin Scott Thomas et Jean Rochefort, elle incarne Margot, une femme sauvagement assassinée par un tueur en série qui réapparaît huit ans plus tard à son mari (François Cluzet) par le biais d’un courriel. Si on la voit peu à l’écran, sa présence hante néanmoins le film, couronné de quatre César, dont ceux du Meilleur acteur et du Meilleur réalisateur. Un choix audacieux que l’actrice endosse sans problème: "De moins en moins, je crois aux scénarios et de plus en plus, je crois aux gens. Ça ne m’intéresse pas de savoir si j’ai le rôle principal ou non. C’est la rencontre avec quelqu’un qui m’intéresse. Je ne suis pas du tout dans une dynamique américaine; je n’aime pas les acteurs qui se disent qu’ils doivent jouer tel rôle à tel moment de leur carrière. En fait, je n’ai pas de fantasmes d’actrice", conclut Marie-Josée Croze qui ne dirait pas non si un beau projet lui venait du Québec.

ooo

ATMOSPHÈRE, ATMOSPHÈRE…

Quatre ans après Mon idole, satire noire un peu brouillonne de la télé-réalité mettant en vedette François Berléand, Guillaume Canet revient en force derrière la caméra avec Ne le dis à personne, un thriller atmosphérique ultra-léché d’après le best-seller Tell No One de l’Américain Harlan Coben, nouveau maître du suspense.

Bercé par la guitare planante mais discrète de M, à qui Canet a demandé d’improviser à la manière de Ry Cooder pour Paris, Texas, ce récit aux accents hitchcockiens met en scène le fiévreux (et athlétique!) François Cluzet dans la peau d’un médecin qui, persuadé que sa femme est toujours vivante (Marie-Josée Croze, énigmatique), se lance dans une poursuite infernale afin de la retrouver. Plus il croit s’en rapprocher, plus les obstacles se dressent sur sa route, et plus la police (l’efficace Berléand en tête) voit dans ses agissements des gestes incriminants.

Avec son intrigue tortueuse à souhait, très bien servie par un montage nerveux et une caméra au bord de l’hystérie, notamment lors des courses haletantes de Cluzet à travers Paris, Ne le dis à personne scotche le spectateur dans son fauteuil dès l’apparition furtive de la disparue sur l’écran d’ordinateur du médecin jusqu’à… Hélas, tout se gâche à la fin où l’on nous sert une bavarde et interminable explication.

De plus, comme s’il doutait de l’intrigue on ne peut plus romantique de ce polar amoureux, plus américain que français dans son essence, Canet, que l’on voit brièvement dans le rôle d’un écuyer, en remet avec ses saynètes à l’eau de rose nous montrant le couple dans sa prime jeunesse. Heureusement, ces petits caprices de metteur en scène n’arrivent pas à nous faire oublier l’interprétation de haut calibre du plus que prestigieux casting.

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