Un fleuve humain : Qualité Afrique
Cinéma

Un fleuve humain : Qualité Afrique

Un fleuve humain, troisième long métrage de Sylvain L’Espérance, porte sur le Niger. Propos du réalisateur qui signe un film porté par la parole, le son et les images dans la grande tradition du cinéma documentaire.

Magnifique voyage sur et autour du Niger, Un fleuve humain de Sylvain L’Espérance (La Main invisible) est un (autre) excellent film sur l’Afrique. Du niveau de Bamako d’Abderrahmane Sissako. Pourtant, aucun des deux n’était de Vues d’Afrique. L’un le suit, l’autre l’a précédé. Drôle de hasard.

Selon le cinéaste québécois, les circonstances de production ont fait que son film arrive maintenant. "J’ai longtemps attendu l’argent. Alors quand je l’ai eu, je l’ai fait", dit-il simplement. Il n’a pas fait Vues d’Afrique, mais les Rencontres internationales du documentaire, en novembre, puis le Cinéma du réel de Paris, les Hot Docs de Toronto, le Dokfest de Munich… C’est dire sa qualité.

Comme pour son précédent documentaire, tourné en Guinée, L’Espérance a fait un film en dehors de l’actualité. Il rêvait de parcourir le fleuve Niger, long de 4000 km, pour montrer la richesse de son étendue: peuples, langues, métiers cohabitent et se partagent ce cours d’eau de l’Afrique de l’Ouest.

"Le film repose sur la parole, dit-il, parce que la transmission orale est importante là-bas. Mon intention était de nommer ce fleuve par la parole de ceux qui le pratiquent quotidiennement."

Fier fils de l’école du réel, Sylvain L’Espérance en aurait long à dire sur les difficultés à exercer son art. La bataille du financement, son deuil de la diffusion télé, etc. Mais il préfère rester positif. Ainsi, de cet argent qui tardait à se montrer, il ne dit que du bien.

"Ça m’a permis de réfléchir à ce que je ferais", confie-t-il. En d’autres mots, il a accepté de limiter son parcours à un microcosme de un million d’habitants, un delta au coeur du Mali. Puis, il a décidé de tenir lui-même la caméra, trouvant, dit-il, "une nouvelle liberté" qu’il répétera pour ses projets futurs.

Film de parole(s) – en peul, songhaï, tamasheq, bambara, bozo -, Un fleuve humain se base sur les récits que livrent un piroguier, un navigateur, un berger, une marchande de poissons et un pêcheur. Autant de métiers que de points de vue sur le Niger et ses réalités.

Un constat chez tous: la baisse de la qualité de vie. Les crues sont moins importantes, les poissons moins nombreux, moins variés, les pâturages moins verts. Mais le discours se fait subtil, le documentaire en étant un d’impressions. Telle la construction, très imagée, d’une pirogue: d’abord la tête, puis la poitrine, ensuite les vertèbres…

Bien que la parole soit son poumon, Un fleuve humain est doté de longues scènes contemplatives, où les bruits lui donnent ses couleurs, sa force. Si, dans La Main invisible, c’est la musique qui parlait, ici, ce sont le claquement des vagues, le martèlement des outils, le brouhaha d’un marché, le beuglement de boeufs.

"La sonorité du delta est extraordinaire, a constaté Sylvain L’Espérance, parce qu’il n’y a pas d’industries. Le son du fleuve est enveloppant." Avec raison, il a résisté à faire appel à la musique malienne, pourtant si chérie. "Elle nous aurait entraînés en dehors du fleuve."

Il a filmé selon "le vieux et bon principe du cinéma direct": son libre, détaché de la caméra. Au montage, seules les sonorités du tournage ont été utilisées.

"Je veux que le spectateur ait l’impression de vivre avec le fleuve. C’est important d’entendre et de se faire une idée à partir de là. Le film ne se construit pas sur un discours, mais sur une volonté de faire entendre et faire voir. Il y a des rencontres, mais pas de discours."

Son titre, L’Espérance l’a emprunté, dans une sorte d’hommage, au documentariste Johan van der Keuken, mort en 2001. Pour lui, "Keuken a ouvert des horizons que personne d’autre n’avait ouverts. Son langage plastique met en avant la subjectivité du regard, la position du cinéaste. Chez lui, tu n’oublies jamais que le film est en train de se faire. Il vient bousculer ton regard."

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C.V.

Né au début des années 60, en même temps que le cinéma-réalité, pourrait-on dire, Sylvain L’Espérance étudie d’abord les arts plastiques, à l’UQAM, puis le cinéma, à l’Université Concordia. Sa conscience sociale se reflète dès Les Printemps incertains (1992), premier documentaire, sur le déclin d’un quartier ouvrier, salué par la critique. Suivront en 1996 Pendant que tombent les arbres et, en 1997, son premier long, Le Temps qu’il fait. Deux documents sur les répercussions de la mondialisation, ses derniers tournés ici. "Mine de rien, ça fait 10 ans que je n’ai pas tourné au Québec, ça commence à me travailler", dit-il. En septembre, il retournera au Mali pour montrer Un fleuve humain, et en profitera pour "faire un petit film sur leurs réactions".

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