Cinéma

L’Espace que j’ai vu… un portrait de l’architecte Pierre Thibault : Dans l’espace-temps d’un architecte

L’Espace que j’ai vu… un portrait de l’architecte Pierre Thibault, d’Anne-Marie Tougas, livre un portrait plutôt juste de ce poète de l’architecture, grand humaniste… ou sosie de Richard Séguin.

Il paraît tout naturel, se dit-on, que l’architecte devenue cinéaste Anne-Marie Tougas fasse un film sur sa première profession. Pourtant, non; au dire de celle qui signe son deuxième documentaire, L’Espace que j’ai vu… un portrait de l’architecte Pierre Thibault ne s’est pas fait par amour pour ce métier.

"Architecte du paysage, précise d’abord celle qui a travaillé deux ans pour la Ville de Montréal. Après 18 ans de scolarité et deux ans de pratique, je me suis rendu compte que je n’aimais pas ça. C’est Pierre Thibault qui m’a ramenée à l’architecture. Il m’a guérie."

L’Espace que j’ai vu… n’est pas un documentaire sur l’architecture. C’est avant tout la rencontre avec un homme, Pierre Thibault, qui se trouve à être un architecte. Peu ordinaire, selon Anne-Marie Tougas. Un humaniste, un grand, dans la lignée de Raymond Klibansky, le philosophe montréalais au coeur de son précédent et premier long métrage (Raymond Klibansky, de la philosophie à la vie).

"Pierre Thibault est un être sensible à l’autre, à ses besoins, dit-elle. Il y a des architectes qui ne cherchent qu’à mettre leur marque sur la place publique. C’est leur ego, leur signature qui compte. Pierre, non. Ce qu’il veut, c’est que les gens puissent mieux vivre."

Pour la cinéaste, réaliser ce film a été toute une expérience. Pas tant parce le travail en a été un de longue haleine (elle l’a porté neuf ans), mais parce que côtoyer Pierre Thibault semble être, en soi, une aventure: "Ce ne sont pas seulement des maisons que je visite, assure-t-elle. Quand on entre là, on est dans un autre espace-temps."

La dizaine de bâtiments qui apparaissent à l’écran – "à dix, on les a presque tous, affirme la cinéaste, Pierre n’est pas quelqu’un qui produit beaucoup" – se fondent dans leur environnement. Résidences dans les bois, théâtre d’été, monastère, Fondation Jean-Pierre-Perreault… Ce sont des espaces ouverts, épurés, jamais rectilignes et toujours surprenants. Combien d’entre vous peuvent se vanter d’avoir un vrai arbre, planté dans la terre, qui traverse leur salon?

Exempt de l’habituelle voix off qui vient tout raconter, L’Espace que j’ai vu… s’en trouve du coup allégé. Sa mission documentaire n’en est pas pour autant écorchée. On en apprend beaucoup, sinon plus, sur l’homme et son oeuvre. C’est lui-même d’ailleurs qui a les mots justes. Un bon communicateur, visiblement, naturel, "authentique", selon Anne-Marie Tougas.

Le ton n’est pas toujours à la retenue, remarquez. Mielleuses parfois, forcées, les interventions de ses proches ne disent pas grand-chose, sinon que l’architecte est d’une grande écoute. Un bon gars, quoi.

La réalisation, elle, demeure sobre, même dans les petites touches d’animation qui viennent colorer les dessins à l’aquarelle que Pierre Thibault crée, à l’écran, devant des sublimes paysages.

Anne-Marie Tougas fait aussi un usage intelligent de ses propres archives, ayant suivi l’architecte depuis 1996, en Mauricie, à Rome ou à Paris. Encore une fois, elle évite de suivre la norme. Et si ce n’était de la longueur des cheveux de Thibault, hier courts, aujourd’hui à la Richard Séguin, on ne saurait rien du passage du temps. Reste qu’à 46 ans, Pierre Thibault a encore davantage des années devant que derrière lui.

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