60e Festival de Cannes : Bons baisers de la Croisette
Cinéma

60e Festival de Cannes : Bons baisers de la Croisette

Jusqu’au 27 mai, le 60e Festival de Cannes bat son plein. Alors que les Jude Law, Bono, Brad et Angelina font frétiller les paparazzis, les critiques attendent encore le vrai coup de foudre. Survol d’une compétition qui ne passera pas à l’histoire.

En début de semaine, lors de la conférence de presse du jury, le président Stephen Frears a lancé à la blague: "Je ne sais pas s’il faut être généreux pour donner une Palme d’or… on pourrait ne pas en donner du tout!" À quelques jours de la fin du festival, alors que peu de films se sont élevés au-dessus de la moyenne ou n’ont pas comblé les attentes des critiques, on en vient à craindre que Frears et ses camarades, qui ont tous avoué ne pas aimer juger les films, mettent leur menace à exécution…

Présenté en ouverture, My Blueberry Nights, magnifique poème visuel bercé par l’enivrante musique de Ry Cooder, où l’on retrouve avec ravissement des réminiscences de 2046, de Chungking Express et de In the Mood for Love, n’est certes pas le plus grand film de Wong Kar Wai. Pourtant, avec sa riche palette de couleurs, ses ralentis, ses volutes de fumée et sa douce mélancolie, il s’inscrit parfaitement dans l’oeuvre du réalisateur dont on reconnaît la délicatesse et la finesse par sa façon d’approcher les personnages, les objets, les paysages comme s’il voulait les caresser doucement de sa caméra. Et que dire du baiser que s’échangent Jude Law et Norah Jones? Le plus beau baiser vu au cinéma depuis longtemps!

Privilégiant le son direct, les éclairages naturels et le plan séquence, Cristian Mungiu signe le puissant 4 mois, 3 semaines et 2 jours où il traite de l’avortement à la fin du règne de Ceaucescu. En résulte un film d’une apparente simplicité qui illustre avec une économie de moyens louable les ravages du communisme. Palmable? Certainement! Quant à l’excellente Anamaria Marinca, elle mériterait bien un prix d’interprétation.

Faisant figure de fausse note dans la compétition, Les Chansons d’amour de Christophe Honoré, drame sentimental mis en chansons par Alex Beaupain, n’est au bout du compte qu’un nanar maniéré et capricieux croulant sous les clins d’oeil à Demy: Jules et Jim, Une femme est une femme, Bande à part, etc. Et en plus, tout le monde chante avec une désinvolture agaçante (Louis Garrel et Ludivine Sagnier en tête), quand ce n’est pas sans conviction, et personne n’a une voix digne de mention. C’est à se demander s’il ne doit pas y avoir obligatoirement de films français au programme.

Toujours du côté de la compétition, Souffle (Soom) de Kim Ki-duk met en scène un ménage à trois singulier, formé d’un mari volage et de sa femme névrosée qui le trompe avec un condamné à mort suicidaire (Chang Cheng, à voir bientôt dans Soie de François Girard). En résulte une suite de scènes de crises conjugales agaçantes, ponctuées de séances de lipsync kitsch et pathétiques. Reste que les amants s’embrassent à en perdre le souffle, et que l’ensemble est racheté par la très belle scène finale entre le prisonnier et ses partenaires de cellule.

LE RETOUR DES PALMÉS

Peuplé de personnages aux gueules impayables, porté par des répliques décapantes, No Country For Old Men d’Ethan et Joel Coen livre un portrait incisif d’une Amérique partagée entre la nostalgie du Far West et la dure violence d’aujourd’hui. Pas le chef-d’oeuvre attendu des chers frangins, palmés en 1991 pour Barton Fink, mais tout de même de jouissives retrouvailles. Semant sur sa route d’innombrables cadavres, le redoutable Anton Chigurh fait son entrée par la grande porte au Panthéon des vilains du grand écran par le biais d’un Javier Bardem au faciès diaboliquement impassible, à la poursuite d’un Josh Brolin parfait en cow-boy paumé. Un prix d’interprétation pour Bardem? Oh que oui!

Avec Paranoid Park, Gus Van Sant répétera-t-il l’exploit de 2003 où il avait récolté la Palme d’or et le prix de la mise en scène pour Elephant? Ce drame d’un adolescent coupable de la mort accidentelle d’un gardien de sécurité n’est peut-être pas porté par le même souffle poétique qu’Elephant ou Last Days, mais avec ses superbes prises de vue de skaters, lesquelles rappellent celles de Dogtown et Z-Boys de Stacy Peralta, et la structure subtilement éclatée de son récit, il ne laissera sans doute pas le jury indifférent.

Et ce cher Quentin Tarantino dont le Pulp Fiction lui avait mérité la Palme d’or en 1994? Bien qu’applaudi plutôt chaleureusement, son Death Proof, hommage solidement ficelé aux films de série B, fait figure de gros joujou sanglant insignifiant avec ses pitounes fatales, son Kurt Russell ringard à souhait et ses cascades poursuites spectaculaires. Frears et cie aimeront-ils le style "bing bang rentre-dedans"? Rien n’est moins sûr.

Pas en compétition, mais digne de mention, il a tout de même raflé la Palme d’or en 2004 pour Fahrenheit 9/11, l’imposant et débonnaire Michael Moore, qui a plus le sens du spectacle que celui de la nuance, récidive avec un nouveau documentaire "et vlan dans les dents!" où il examine sans mettre de gants blancs le système de santé américain, Sicko. Attention, ça va faire mal!

Par ailleurs, Chacun son cinéma (hors compétition), film célébrant les 60 ans du vénérable festival, ne s’est pas avéré le clou des festivités, mais le joyeux À 8944 km de Cannes de Walter Salles, où deux larrons chantent les louanges du festival, a fait crouler la salle de rire, tandis qu’Anna d’Alejandro Gonzalez Inarritu, portrait d’une cinéphile aveugle, a ému le public.

Enfin, dans les prochains jours, on mise sur les Schnabel, Reygadas, Tarr, Akin, Sokurov, Breillat et le double palmé Kusturica pour venir secouer la compétition. Quant à Ocean’s Thirteen (hors compétition) de Steven Soderbergh (Palme d’or en 1989 pour Sex, Lies and Videotapes), on peut compter sur lui pour faire vibrer le public qui attend impatiemment George Clooney, Brad Pitt et Matt Damon. Et bien sûr, qui de vous n’a pas hâte de savoir de quel bois se chauffe le Arcand nouveau?