Audrey Tautou : Liberté, beauté, notoriété
Cinéma

Audrey Tautou : Liberté, beauté, notoriété

Audrey Tautou interprète, dans Ensemble, c’est tout, adaptation du roman d’Anna Gavalda par Claude Berri, un rôle qui lui ressemble. Totalement. Discussion avec la jeune star du cinéma français autour de tout et de Tautou. Pas de doute: cette femme est une actrice.

Amélie Poulain aimait avant tout plonger sa main au plus profond d’un sac de grains, briser la croûte des crèmes brûlées avec le bout de la petite cuillère et faire des ricochets sur le canal Saint-Martin. Toutefois, elle n’aimait pas, dans les vieux films américains, voir les conducteurs regarder leur passagère plutôt que la route. Audrey Tautou, elle, aime avant tout vivre sa vie parisienne, se réfugier dans des romans et rêver de peinture. Toutefois, elle n’aime pas faire des entrevues. Et elle déteste parler au téléphone.

On vous évitera la relation des coups de fil répétitifs qu’on a dû lui passer, des messages sur sa boîte vocale, des pas-de-réponse irritants et des longs dimanches (et lundi, et mardi, et mercredi…) non pas de fiançailles, mais bien d’attente. Bref, peu importent les moyens. À la fin, c’est elle-même qui a fait sonner le téléphone. On s’attendait à une voix légèrement blasée, à des confidences livrées mollement, sous la pression d’un agent menaçant. On a eu droit à cinq minutes de: "Ooooooooh comme je suis désoléééééééée! Mon Dieu, mon Dieu!"

Ainsi, celle qui s’étonnait si mollement d’être la petite-fille de Jésus dans le Da Vinci Code se confondait-elle en excuses? Eh bien, le ton était donné. Québec 1, France 0.

COMME UN ROMAN

C’était il y a de cela quelques années déjà. Audrey Tautou venait de refermer le pavé de près de 600 pages Ensemble, c’est tout, signé par l’auteure acclamée du public parisien (et de la critique, c’est dire!) Anna Gavalda. Instantanément, elle s’était vue dans le rôle de la jeune fille physiquement frêle, émotionnellement instable, psychologiquement friable et amoureusement désillusionnée. Il n’y avait pas de projet de film en vue, mais elle savait que Camille, c’était elle: "J’aime bien ces personnages solitaires, sauvages, timides mais très directs dans leur façon de s’exprimer… Ça me ressemble, en fait."

Quelque temps plus tard, Claude Berri (acteur, producteur, scénariste et réalisateur) annonçait qu’il adaptait le scénario. Tautou s’est précipitée aux auditions, mais c’est Charlotte fille-de-l’autre (comprendre: Gainsbourg) qui s’est vu assigner le rôle tant convoité. La malchance des uns faisant le bonheur des autres, Gainsbourg a eu un accident et a dû renoncer au projet. Tautou est arrivée. En renfort… et en extase.

Il reste bien sûr difficile de mettre les mots en images. De faire d’une telle saga littéraire un film qui ne tienne qu’en une heure et demie. Oubliez les histoires parallèles et les personnages secondaires. De tous ces détails savoureux qui meublaient le roman, on a fait table rase.

On le lui mentionne. Elle approuve: "Je trouve que le film est très fidèle, bien que l’on n’y retrouve pas certains événements, forcément, mais on sent l’esprit des personnages, de cet appartement. Même par rapport aux dialogues, je crois que ce côté plus classique colle bien à l’oeuvre originale." Effectivement, exit le jouissif argot parisien qui meublait le roman. On n’a plus droit aux "péteux", "pétards" et autres déclinaisons qui risquent de laisser perplexes les lecteurs ne vivant pas dans le rayon de la Ville lumière. Tautou se réjouit tout de même du résultat: "Les choses se sont donc faites assez simplement. C’était un personnage dont j’avais rêvé à la lecture du roman, que j’avais l’impression de connaître. Je me suis abandonnée totalement au sentiment de confiance qu’il avait fait naître en moi. Le résultat, c’est que, de tous les rôles que j’ai faits, c’est probablement celui qui me ressemble le plus."

OUBLIER AMÉLIE

Certains acteurs cherchent toute leur vie à fuir, en vain, un de leurs succès. Pour sa part, Tautou ne vit plus, pas plus qu’elle n’a jamais vécu, dans l’ombre de sa célébrissime Amélie: "Je n’ai jamais souffert de la folie d’Amélie. Je n’ai jamais regretté qu’on m’ait identifiée, ou qu’on m’identifie à ce personnage, parce que je pense que c’est plutôt un compliment. Je n’ai pas cherché à m’en différencier ni à la faire oublier. Parce que ça ne m’intéresse pas. Parce que je m’en fous. Parce que j’ai toujours voulu continuer à être actrice et que je faisais confiance à mes capacités. Ça a vraiment été un cadeau d’avoir pu participer à un film-culte. Et j’en suis très fière."

Celle qui a joué la douce moitié de l’autre belle gueule du nouveau cinéma français (lire: Romain Duris), dans L’Auberge espagnole et Les Poupées russes sous la direction de Cédric Klapisch, n’a pas eu peur de travailler avec le "génial" Ron (Howard) et le "tout aussi génial" Tom (Hanks) pour le ô combien décrié Da Vinci Code. Pas plus qu’elle n’a eu peur d’être loin de chez elle devant la caméra du réputé cinéaste britannique Stephen Frears dans Loin de chez eux (Dirty Pretty Things).

Pourtant, Miss Tautou ne fait pas partie de ces starlettes qui cherchent à tout prix la reconnaissance à l’extérieur de l’Hexagone. Et ne souhaite nullement se faire estampiller "Made in USA". "Éventuellement, je me dis: pourquoi pas? Mais pas tout de suite. Je tiens à garder une certaine liberté. Je fuis un peu la trop grande célébrité. Participer à un film qui soit à vocation très populaire, ça implique des sacrifices que je ne suis pas prête à faire", conclut-elle.

ooo

LE FABULEUX DESTIN D’ANNA GAVALDA

L’histoire aurait pu être banale: une étudiante regardant avec une profonde incompréhension sa copie d’examen sait qu’elle n’aura pas la note de passage nécessaire pour être acceptée en sciences politiques. Sauf que parfois, une histoire banale se transforme en issue extraordinaire. Plutôt que de pleurer sur son questionnaire, la jeune Anna Gavalda l’a retourné et y a écrit une nouvelle au verso. Dix ans plus tard, elle présente son recueil Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part à une multitude d’éditeurs. Tous lèvent le nez et claquent la porte. La maison d’édition Le Dilettante y voit néanmoins un produit digne de publication. Coup de théâtre: le livre remporte un franc succès et est traduit dans une vingtaine de langues. Le public craque pour les situations quotidiennes, les antihéros au coeur brisé, les histoires d’amour sans fla-fla ni violons. Trois ans après le recueil, l’écrivaine remet ça, cette fois avec le roman Je l’aimais, un troublant face-à-face entre une femme qui vient d’être abandonnée par son mari et son beau-père. Toutefois, c’est Ensemble, c’est tout, publié en 2004, qui marque l’entrée de l’auteure dans le cercle de la notoriété littéraire absolue: en France, l’oeuvre manque de peu le titre du plus grand succès de l’année, se faisant dépasser (ah, ironie, quand tu nous tiens!) par… le Da Vinci Code.

ooo

C.V.

Née en 1976, Audrey Tautou fait une entrée remarquée dans le monde du septième art dans Vénus beauté (institut) de Tonie Marshall, un rôle pour lequel elle remporte le César du meilleur espoir féminin en 1998. Trois ans plus tard, elle devient l’héroïne désormais légendaire du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet. Le film est à la France ce que C.R.A.Z.Y. sera au Québec, mais certaines critiques (acerbes) l’accablent de reproches. Télérama va jusqu’à qualifier la chose d’un "trop-plein de sirop" tandis que Les Inrockuptibles créent un scandale en affirmant que le film "présente une France rétrograde, ethniquement nettoyée, nauséabonde". Tautou ne souffre nullement du débat et enchaîne les succès populaires: L’Auberge espagnole et Les Poupées russes de Klapisch, puis Un long dimanche de fiançailles de Jeunet. L’expérience américaine du Da Vinci Code la laisse pantoise et c’est avec joie qu’elle renoue avec le cinéma français. L’actrice se prépare à incarner Coco Chanel sous la direction d’Anne Fontaine.
En salle le 15 juin