Jindabyne : Méandres
Cinéma

Jindabyne : Méandres

Dans Jindabyne, le cinéaste australien Ray Lawrence revisite une nouvelle de Raymond Carver.

Une route traversant le désert australien. Une jeune femme chantonne au volant. Derrière elle, une camionnette conduite par un vieil homme au regard hagard. Il intercepte la jeune femme, sort de son véhicule et va à sa rencontre en divaguant de façon inquiétante, puis… hop, le récit se déplace ailleurs, cette amorce en thriller étant une fausse piste. Les répercussions de cette séquence habitent le reste du film, mais l’assaillant et sa proie ne seront ultimement qu’accessoires.

Ceci n’est pas une histoire de tueur en série, mais plutôt celle d’un garagiste (Gabriel Byrne, explosif) et ses amis qui, en direction vers la rivière où ils vont pêcher chaque année, tombent sur le cadavre d’une femme. Quelque peu déstabilisés mais se disant qu’ils ne peuvent plus rien pour elle de toute façon, les hommes décident d’aller quand même voir si le poisson mord. De retour à la ville, ils rapportent finalement leur découverte à la police, mais le temps qu’ils ont pris avant de s’exécuter consterne leurs proches.

Si cette prémisse est familière, c’est que c’est aussi celle de So Much Water, So Close to Home, une des nouvelles de Raymond Carver ayant inspiré Short Cuts de Robert Altman. L’action y est toutefois transposée dans la région de Jindabyne en Australie et, évidemment, étoffée pour occuper un long métrage. Les difficultés conjugales du garagiste et son épouse (Laura Linney, émotionnellement à vif) sont davantage développées et s’inscrivent de façon convaincante dans une vie à deux parsemée d’embûches et de ressentiment refoulé. De plus, le réalisateur Ray Lawrence (Lantana) et sa scénariste Beatrix Christian font de la fille assassinée une aborigène, ce qui amène une dimension raciale, la famille de la victime se demandant si les hommes qui l’ont trouvée auraient réagi avec plus de sensibilité si elle avait été blanche.

Explorant un dilemme moral ambigu et les sentiments de culpabilité et d’incompréhension qui en découlent, Jindabyne se déploie à travers une mise en scène dépouillée, à l’image des grands espaces qui en sont le décor. Ellipses et non-dits donnent à l’ensemble un caractère énigmatique et méditatif, mais aussi plutôt cahoteux, les revirements dramatiques y apparaissant brusques par contraste et la résolution, simpliste. Les questions abordées demeurent provocantes: lorsque son chemin croise celui d’une personne décédée, en devient-on responsable? Ou, dans un ordre plus général, peut-on profiter de la vie face à la mort d’autrui?

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