Bluff : Quitte ou double
Bluff, film d’ouverture du Festival des films du monde, est une production indépendante dotée d’une distribution de rêve. Rencontre avec les réalisateurs Simon-Olivier Fecteau et Marc-André Lavoie.
Tout commence quand Marc-André Lavoie, réalisateur de nombreuses publicités et de plusieurs courts (dont Sauver les meubles, présenté aux derniers Rendez-vous du cinéma québécois), a l’idée de faire un long métrage constitué d’une série de courtes histoires se déroulant entièrement dans un seul et même appartement, afin de limiter les coûts de production. "On s’est dit qu’on pourrait faire des tournages plus ciblés, explique-t-il, en ne mobilisant que quelques comédiens à la fois. Puis, on a été inspirés par des films comme 21 Grams, Babel, Love Actually, où tu construis différentes histoires."
En plus du lieu commun, les différentes vignettes de Bluff sont reliées par une portion contemporaine dans laquelle le propriétaire de l’immeuble (Raymond Bouchard) et un ouvrier (Jean-Philippe Pearson) font une consternante découverte sous le plancher du logement. Le suspense grandit alors que le récit fait des va-et-vient dans le temps, introduisant les divers locataires des 15 dernières années et nous faisant nous interroger sur laquelle (ou lesquelles) de ces intrigues finira tragiquement.
UN COUPLE CRÉATIF
Anciennement membre du trio d’humoristes de Victoriaville Chick’n’Swell, Simon-Olivier Fecteau a quitté le groupe pour se consacrer entièrement au cinéma. Après deux courts métrages remarqués dans les festivals (Les Derniers Jours et Le Pouce vert), celui à qui on doit aussi la réalisation (avec Stéphane Lapointe) du Bye Bye de RBO fait la rencontre de Lavoie lors d’une soirée Prends ça court! et devient collaborateur à part entière sur Bluff.
"Marc-André avait déjà commencé à penser à ce projet-là, se rappelle Fecteau, il m’a approché et on s’est entendus super bien. C’est super intime de réaliser, il y a mille façons de le faire, mais là où l’on se rejoint, c’est qu’on aime raconter des histoires. D’ailleurs, quand on écrivait, on s’enregistrait parler et on se racontait les histoires. On trouvait des jokes, on construisait des dialogues… Ça partait comme ça. Puis pendant le tournage, il y a deux réalisateurs, mais on travaille toujours pour l’histoire. Les décisions qu’on prend, c’est pas lui ou moi, c’est le film qui décide. Il n’y a pas d’affaire d’ego entre nous deux."
Lavoie poursuit: "On a tout fait ensemble d’un bout à l’autre, jusqu’à aller choisir les meubles chez Maison Éthier! Même si je faisais la direction photo, c’était quand même un accord des deux. Est-ce qu’on raconte mieux l’histoire en mettant le Kodak là ou pas? C’est sûr que sur le plateau, on ne dirigeait pas les comédiens les deux en même temps. On s’arrangeait pour se parler entre nous autres, puis un y allait, sinon ça mêlait le monde."
Au générique, on peut lire que Bluff est "un film de Fecteau et Lavoie", une signature qu’on aura la chance de revoir, selon les principaux intéressés: "Honnêtement, confie Lavoie, est-ce que Simon ou moi pourrait refaire un film avec n’importe qui d’autre? Non, pas avec personne que j’ai rencontré dans ma vie jusqu’ici. On a la même vision. Je ne dis pas qu’on a la meilleure vision au monde, mais on a la même. C’est comme avec ta blonde, c’est peut-être pas la meilleure pour un autre, mais pour toi, c’est béton. Je suis en train de dire qu’on est un couple!" Sous les rires, Fecteau clôt la question en précisant: "On n’est pas un couple, mais on est un couple créatif."
S’EN FAIRE ACCROIRE
Un boxeur amateur (Rémy Girard) tente de convaincre son futur gendre (Pierre-François Legendre) qu’il a déjà été un grand champion. Un couple (Isabelle Blais et Alexis Martin) négocie avec un inconnu (Gilbert Sicotte) pour lui vendre à grand prix une toile qu’ils ont perdue. Un voleur (Marc Messier) cache à son complice (Nicolas Canuel) qu’ils sont en train de dévaliser son propre appartement…
Dans chacune des histoires, les personnages mentent, trompent, manipulent… Bref, ils bluffent. "Le mensonge fait partie de nos vies, reconnaît Lavoie. Qui n’a jamais dit un mensonge de sa vie? Et généralement, on ment pour protéger les gens qu’on aime, on ne ment pas gratuitement. Je me souviens, quand j’étais jeune, mon chien s’est fait couper la tête par un train, mais ma mère m’a dit qu’il était mort d’une indigestion. Si je l’avais su, j’aurais fusillé tous les trains qui passaient avec ma carabine à plomb…"
LES ACTEURS
Outre ceux déjà nommés, Bluff met en vedette Emmanuel Bilodeau, Julie Perreault et David La Haye, qui se renvoient la balle dans une histoire d’amour, d’amitié et d’insémination (très) directe. C’est donc un grand nombre des comédiens les plus en vue du Québec qui s’y retrouvent, malgré le fait que le film ait été produit avec des moyens limités. "Jamais on ne s’attendait à ce que tous ces comédiens-là embarquent, avoue Fecteau. On se disait: "on va les approcher, ils vont dire non, puis on trouvera d’autre monde". Mais finalement, la surprise, c’est que toute le monde à qui on a demandé a accepté! Puis, ce qui est le fun d’avoir des comédiens comme ça, au-delà du fait qu’ils soient connus, c’est surtout que c’est des bons comédiens."
En plus de travailler derrière la caméra, Fecteau joue aussi le rôle principal d’une des histoires, dans laquelle un diplômé universitaire largement endetté se prépare devant son miroir à une entrevue d’emploi qui le terrifie. Cette insécurité est représentative de plusieurs jeunes adultes qui ont de la difficulté à entrer de pied ferme dans la "vraie vie", mais clairement, cela ne s’applique pas aux réalisateurs de Bluff.
Faisant preuve d’autant de détermination et de résilience que Tom Hanks dans Cast Away (une performance évoquée directement dans le film), ils doivent peut-être aussi leur succès au fait que, contrairement au personnage de Fecteau, ils ne se sont pas posé trop de questions avant de se lancer: "Il y a quelque chose qui nous fait avancer quand on est jeunes, affirme Lavoie, c’est l’insouciance. T’es innocent, tu ne sais pas ce que tu fais. Si j’avais vraiment évalué le temps qu’il faudrait que je mette de ma vie pour faire ça, j’aurais vu les heures et j’aurais dit: "je ne serai même pas capable physiquement!" Je suis content d’avoir été innocent."
Produit sans subventions, le film de Fecteau et Lavoie a toutefois pu bénéficier des nouvelles technologies (tourner en HD étant beaucoup moins onéreux que sur pellicule), de l’ouverture croissante du milieu et du public par rapport aux films "fauchés" (comme l’a démontré le succès de Québec-Montréal) et, pourquoi pas, de la présence d’une bonne étoile: "On a été très chanceux, admet Fecteau. On dirait qu’il y avait une force au-dessus de nous autres qui nous suivait, qui a fait que le projet a pris une telle envergure. On ne pouvait pas imaginer ça au départ", conclut-il.
En salle le 7 septembre