Ken Scott : Ermite matinal
Cinéma

Ken Scott : Ermite matinal

Un des scénaristes les plus en vue du Québec, Ken Scott, préside la quatrième édition du Festival Images et Lieux. Entretien avec un créatif lève-tôt.

Avec La Grande Séduction – son deuxième scénario adapté au grand écran après La Vie après l’amour -, Ken Scott a redonné ses lettres de noblesse au cinéma rural au Québec. Ce joli film réalisé par Jean-François Pouliot, tourné dans le petit village de Harrington Harbour – déguisé en Sainte-Marie-la-Mauderne -, souffla une vague déferlante sur la production cinématographique québécoise à laquelle des films tels Le Survenant et Aurore donnèrent suite. Il n’est donc pas surprenant qu’on ait fait appel à lui à titre de président d’honneur de cette quatrième édition du Festival Images et Lieux (FIL) de Maniwaki, un événement qui se consacre justement au thème de la ruralité au cinéma et qui le célèbre dans sa petite municipalité de la Vallée-de-la-Gatineau.

Joint au téléphone, le scénariste qui a depuis offert Maurice Richard et Guide de la petite vengeance retrace ce qui était à l’origine de cette petite histoire devenue grande: "Dans les cours de cinéma, les professeurs disent qu’il faut écrire sur des choses que l’on connaît, commence ce diplômé en scénarisation cinématographique de l’UQAM. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec ça. Pour ma part, j’aime plutôt écrire sur des choses que j’aimerais connaître. Je suis curieux. Je suis un gars de la ville qui a eu envie de fouiller cette problématique, de raconter l’histoire d’une petite communauté qui, avec peu de moyens, essaie d’accomplir quelque chose de grand."

Il aura pointé son radar dans la bonne direction puisque le film aura connu un franc succès ici, en plus d’être vendu dans une trentaine de pays. Son titre donna lieu à l’émission télévisuelle La Petite Séduction, autre véhicule qui met en valeur les villages de la province. De réels programmes de "séduction" ont aussi été mis sur pied pour attirer les médecins dans les régions éloignées. "Le film est sorti juste au moment où les gens avaient besoin et envie de parler de ça. Il y avait vraiment une correspondance entre le film et la réalité", atteste celui qui garde un souvenir indélébile du tournage.

C’est donc avec détermination que Ken Scott sort de son antre de création pour faire connaître le FIL, pour partager cette passion avec les festivaliers, afin que l’on reconnaisse l’importance de ce type de cinéma. "Dans une production nationale, ça prend un peu de tout et il y a définitivement une place pour le cinéma rural, confirme le créateur, se rappelant du coup que les Sud-Coréens avaient été les premiers, au Festival de Cannes, à acheter La Grande Séduction. "Ils nous ont dit l’avoir choisi parce que ça racontait leur réalité. Je pense qu’on a alors compris que cette histoire d’un petit village québécois existe partout à travers le monde."

MÉTIER DE L’OMBRE

En plus d’une riche programmation qui donne à voir des étendues de champs, de forêts et d’eau ainsi que les petites histoires de ces lieux, le FIL propose des rencontres avec les métiers de l’ombre. Robert Favreau (Un dimanche à Kigali) discourra sur La Réalisation, ses défis, Raoul Jomphe (Phoques, le film) sur Le défi de réaliser un film au coeur de la controverse, alors que Ken Scott prononcera une conférence sur L’Art du scénario. "Le métier de scénariste est plutôt méconnu. Je suis toujours surpris de la quantité de gens qui me disent vouloir écrire un scénario, mais qui ne savent pas ce que ça implique: quel est l’apport de la réalisation et de la scénarisation dans un projet, comment on passe de l’étape de trouver une idée à celle de la mettre sur papier sous une forme qui pourrait intéresser un producteur. C’est un métier contraignant, mais c’est justement intéressant de jouer avec les contraintes, d’être créatif malgré elles", relève-t-il.

Rares sont les scénaristes qui, comme Ken Scott, se trouvent à ce point dans l’oeil du public et des médias. Celui qui a évolué auprès du quatuor humoristique Les Bizarroïdes, qui a été un vaillant improvisateur et que l’on a longtemps connu comme le visage du fromage canadien se voue désormais à un métier de reclus, nécessitant une grande discipline. "À un moment donné, je faisais du stand up et j’étais acteur, mais j’avais de la difficulté à combiner cela à la création. Je ne peux pas aisément donner une entrevue, par exemple, et retourner à l’écriture. C’est de la gymnastique mentale! Pour moi, ce n’est pas la même énergie, je ne peux passer de l’un à l’autre en quelques minutes."

"Moi, ma job, c’est de m’arranger pour être dans un état d’esprit pour écrire. J’écris mieux le matin, alors je me dois d’avoir une hygiène de vie qui fait en sorte qu’au lever, je sois disposé à écrire. Je ne peux donc pas faire de la comédie jusqu’à tard le soir. Ce sont des choix de la vie; j’ai fait en sorte de créer une fenêtre où je sais que j’ai des bonnes chances d’être dans un esprit de création."

Méthode qui aura fait ses preuves jusqu’à maintenant, puisque le créateur n’aura pas connu de famine entre deux projets. Deux scénarios évoluent parallèlement sur la table de Ken Scott présentement. Il y a d’abord Les Doigts croches, scénario original qui sera réalisé au Québec, contrairement à la coproduction avec la France annoncée. Le scénariste n’en dira pas plus. Il planche aussi sur l’adaptation du roman Hana’s Suitcase de la Canadienne Karen Levine: un premier scénario rédigé entièrement en anglais pour Ken Scott et tiré d’une histoire vraie. "On a parfois l’impression que c’est plus facile d’écrire à partir d’une matière existante comme pour Maurice Richard, mais le défi c’est de trouver l’acte dramatique dans cette matière. Tu ne peux l’inventer comme dans une fiction; il faut mettre le focus sur des points en particulier. Avec Maurice Richard, j’avais des buts spectaculaires pour 10 films! Il s’agit donc de choisir des événements qui, mis bout à bout, donnent un sens. Avec Hana’s, c’est un peu le même défi", conclut-il.

5 à 7 – L’art du scénario avec Ken Scott
Le 15 septembre au Château Logue de Maniwaki
Dans le cadre du FIL