Guy Maddin : Le magicien de Winnipeg
Le cinéaste manitobain Guy Maddin est l’objet d’une rétrospective au Cinéma du Parc, à l’occasion de la sortie montréalaise de Brand Upon the Brain!
Maladie, vengeance, inceste, ballet, hockey, avortement, bière, résurrection… Bienvenue dans l’univers de Guy Maddin. Étant originaire de Winnipeg, on peut imaginer que ses films apparaissaient comme de véritables ovnis quand il a commencé à y tourner au milieu des années 1980. Or, 20 ans plus tard, Maddin est reconnu internationalement et s’est mérité le prix du meilleur film canadien au dernier Festival de Toronto avec My Winnipeg (que nous pourrons découvrir prochainement au Festival du Nouveau Cinéma). Il se considère toutefois toujours marginal: "Quand j’ai débuté, se rappelle Maddin, je croyais que chaque film était un petit pas vers une éventuelle reconnaissance populaire, mais j’ai maintenant réalisé que ça ne m’intéresse même pas de faire partie du mainstream. On a beaucoup plus de liberté artistique dans la marge. J’aimerais avoir accès à de plus gros budgets, certes, mais je ne veux pas faire de compromis. À la fin de ma carrière, j’espère pouvoir affirmer, comme Luis Buñuel, que je n’ai jamais rien ajouté ou enlevé à un de mes films contre ma volonté."
Avec Brand Upon the Brain!, Maddin persiste et signe, continuant de développer sa vision singulière sans se soucier du goût du jour. Le film se déroule sur une île dont le phare est aussi un orphelinat, dirigé par une femme autoritaire (Gretchen Krich) et son mari (Todd Jefferson Moore), un scientifique affairé à de mystérieuses expérimentations. Un jour, Wendy (Katherine Scharhon), une adolescente détective déguisée en garçon, y vient pour enquêter sur la nature des trous que tous les orphelins ont derrière la tête et, un peu malgré elle, séduit la fille (Maya Lawson) et le fils (Sullivan Brown) des directeurs de l’orphelinat.
Élément non négligeable, le fils s’appelle… Guy Maddin. De fait, malgré tous les éléments fantaisistes qu’il renferme, Brand Upon the Brain! est un film autobiographique: "Quand on pense à son enfance, confie Maddin, on devient tous un peu poète. Les réminiscences d’enfance sont similaires à des rêves; ce sont des souvenirs émotionnels sans inhibitions et souvent surréalistes. D’ailleurs, mon film préféré de tous les temps est Léolo, de Jean-Claude Lauzon, qui était aussi une autobiographie teintée de surréalisme."
UN CONTE EXPRESSIONISTE
Regorgeant de trouvailles surprenantes et alternant entre candeur et cruauté, Brand Upon the Brain! s’apparente à un conte des frères Grimm, ce qui s’applique aussi aux jeunes années de Maddin: "L’histoire de ma famille est remplie de gestes mélodramatiques, incluant des promesses d’amour éternel et des suicides. Une grande part du film est vraie, du moins émotionnellement vraie. Par exemple, ce n’était pas littéralement une adolescente détective, mais ma soeur est vraiment tombée amoureuse d’un garçon qui s’est avéré être une fille déguisée."
La facture visuelle de Brand Upon the Brain! est, comme c’est généralement le cas chez Maddin, inspirée du cinéma muet (noir et blanc, intertitres, effets d’iris). D’ailleurs, lors des premières représentations, le film était présenté sans aucune bande sonore préenregistrée, l’accompagnement musical, la narration et le bruitage étant performés en direct. Mais même sans toute cette mise en scène, Brand Upon the Brain! demeure une expérience cinématographique fascinante: "Je ne voulais pas faire quelque chose qui soit meilleur en tant que performance scénique. Mon monteur et moi avons fait très attention pour nous assurer que ce soit d’abord et avant tout un film qui marche par lui-même."
MYTHES CANADIENS
En plus de Brand Upon the Brain!, les cinéphiles auront l’occasion de voir plusieurs courts métrages de Maddin (dont Dead Father, Sissy-Boy Slap Party et The Heart of the World) ainsi que six autres de ses longs métrages. Du lot, le réalisateur manitobain affectionne particulièrement Careful, qui date de 1992: "Les couleurs sont très belles, et l’ensemble a quelque chose de féérique. Le film se déroule dans les montagnes, mais je l’ai tourné à Winnipeg, où nous n’avons même pas de collines, alors j’ai dû faire des montages en papier mâché."
Maddin est aussi très fier de Cowards Bend the Knee, qui était originalement une installation créée pour la galerie d’art The Power Plant, de Toronto: "C’est la chose la plus hystérique que j’aie faite, les émotions y sont totalement hors de contrôle. Ça traite d’impulsions comme la jalousie et la haine, c’est très cynique, très chargé."
Enfin, son premier long métrage, Tales from the Gimli Hospital, occupe évidemment une place spéciale dans son coeur: "J »ai toujours trouvé que les Canadiens sont pitoyables en ce qui a trait à la création de leur propre mythologie. J’étais donc vraiment heureux d’être capable avec ce film de prendre la petite ville de Gimli, un endroit du Canada que je chéris beaucoup, et de la rendre mythique", conclut le cinéaste.
À voir si vous aimez /
Les films de David Lynch, Sunrise de F.W. Murnau, Léolo de Jean-Claude Lauzon