Depuis plusieurs mois, une centaine d’artistes québécois de différents horizons se réunissent pour créer diverses oeuvres sur le thème du bonheur, notamment un spectacle musical, une exposition de photographes et, dans le cas qui nous concerne, un film. Un cri au bonheur a été réalisé conjointement par 11 cinéastes, dont Denis Villeneuve (Maelström), qui nous en explique la genèse: "Le projet a été initié par Michel Sarao, qui s’est associé à la productrice Monique Simard, puis ils ont engagé Jacques Allard, un expert en poésie québécoise, qui a fait une sélection d’une cinquantaine de poèmes. Dans ce bassin-là, on pouvait en choisir deux ou trois et en faire des films."
Vingt et un poèmes ont ainsi été transposés à l’écran par les onze réalisateurs. Le danger en additionnant tant de poèmes et de films était que le résultat soit extrêmement morcelé, ce dont était consciente Manon Barbeau (Les Enfants de Rebus global): "On a essayé de tout faire pour que ce soit une oeuvre unique et non une suite de courts métrages. Pour ça, il y a eu tout l’alliage que Philippe Baylaucq a fait, qui assure une unité formelle."
Kim Nguyen (Le Marais), un des plus jeunes cinéastes impliqués avec Geneviève Allard, Marie-Julie Dallaire et Chloé Leriche, poursuit: "On a laissé la liberté à Philippe de faire un montage à partir des poèmes qu’on a adaptés, de trouver une structure, pour que ce ne soit pas épisodique."
André Forcier (L’eau chaude l’eau frette), un des vétérans du collectif qui inclut aussi Michel Brault, Paule Baillargeon et Marcel Simard, était particulièrement chaud à l’idée de collaborer avec des poètes: "Les poètes ont vraiment besoin de plus de visibilité. La poésie, c’est pas facile à vendre." Villeneuve abonde dans le même sens: "Le cinéma, c’est quand même peut-être l’art le plus médiatisé, alors que la poésie est à l’autre bout du spectre. Je trouvais ça chouette d’aller embrasser la poésie avec la caméra pour lui donner un rayonnement."
Villeneuve lui-même connaissait peu la poésie québécoise contemporaine avant de participer au projet, "contrairement à Forcier, qui connaissait tout le monde et quasiment tous les poèmes par coeur." Lorsqu’on lui rapporte ces paroles, Forcier modère: "Je suis quand même pas un exégète! Je ne défends pas tout ce qui s’écrit, mais je trouve qu’un poème, ça va chercher la quintessence de la vie. Les romans, je trouve ça trop long."
UN MOT VAUT 1000 IMAGES
Les meilleurs moments d’Un cri au bonheur sont possiblement les contributions de Barbeau, qui s’éloignent des clichés qui lient le bonheur à la nature et la poésie à une certaine austérité: "Danny Plourde, confie-t-elle, c’est un tout jeune homme et il a un côté très urbain, pas prétentieux pour deux sous. C’était impossible d’aller à l’encontre de ce qu’il est. Et je trouvais ça intéressant de tourner dans une buanderie de Hochelaga-Maisonneuve. Ça représentait bien la poésie de Danny, qui est vraiment incarnée dans les milieux populaires, dans le quotidien." L’autre film de Barbeau, basé sur un poème de D. Kimm, se déroule dans un hôtel de passes: "Dans un endroit comme ça, on s’attend à une certaine crudité, et là, c’est un peu l’inverse, c’est une rencontre vraie et essentielle."
Forcier, quant à lui, s’est inspiré des mots de Claude Beausoleil et d’André Roy, mais on reconnaît aisément son propre style: "C’est normal d’imaginer qu’un auteur puisse avoir une touche, admet-il, mais je ne me suis pas astreint à une gymnastique spéciale. En fait, j’ai voulu m’effacer derrière les poètes."
Les intentions de Villeneuve étaient similaires: "J’avais envie de filmer Kim Doré en train de murmurer son poème, raconte-t-il, d’aller vers le plus de simplicité possible. De faire l’opposé de ce que j’ai fait dans le passé, c’est-à-dire de toujours essayer d’en mettre plein la vue. Ça m’a montré que je suis capable de faire Polytechnique (NDLR: le film sur la tuerie de 1989 que Villeneuve tournera cet hiver), où je veux aller chercher une simplicité et une écoute, que je sais maintenant que je suis capable d’obtenir sans esbroufe."
La réalisation de Nguyen, qui clôt le film, met en images un texte de Pierre Morency: "La simplicité du poème m’a beaucoup touché; je trouvais que c’était une belle représentation du bonheur. Et une chose qui m’a rendu heureux, c’est qu’on a capturé un endroit qui va probablement disparaître. C’est la dernière écurie à Montréal, dans le quartier irlandais. J’ai toujours voulu filmer là, c’est fabuleux comme endroit, ça n’a pas bougé depuis 150 ans. Puis là, ils vont tout raser et construire des condos!"
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La Nuit de la poésie de Jean-Claude Labrecque, Before Night Falls de Julian Schnabel