4 mois, 3 semaines, 2 jours : La vie et rien d'autre
Cinéma

4 mois, 3 semaines, 2 jours : La vie et rien d’autre

4 mois, 3 semaines, 2 jours propose une remarquable tranche de ciné-réalité à la mode est-européenne. Entretien avec son réalisateur, Cristian Mungiu.

"Excusez-moi, j’aurais aimé passer vous voir à Montréal, mais depuis Cannes, mon horaire s’est passablement alourdi…" Cristian Mungiu nous parle en direct de ses quartiers, établis à Bucarest. Bien qu’à la bourre, le cinéaste roumain a eu la gentillesse de nous accorder 15 minutes de son temps. C’est que le monde se l’arrache depuis que 4 mois, 3 semaines, 2 jours (4 luni, 3 saptamini si 2 zile) a été élu Palme d’or, cuvée 2007.

Pris dans le tourbillon des festivals, Mungiu a-t-il seulement eu le temps de vérifier l’impact que son troisième long métrage, bien reçu à l’étranger, a eu chez lui? "Oui, répond-il, le film a été très bien accueilli ici. Il est sorti en salle en août et il a fait deux fois plus d’entrées que son plus proche rival au box-office. La fréquentation en salle a connu un boum grâce à Cannes et à la rumeur entourant le film, qui a piqué la curiosité des gens. Quant aux réactions à proprement parler, il semble que les gens dans la quarantaine, à qui le sujet parlait personnellement, aient été très, très émus. Les femmes, à plus forte raison. Elles ont apprécié qu’on aborde un sujet occulté si longtemps."

Le film nous ramène 20 ans en arrière, dans une Roumanie vivant encore sous la botte du régime Ceausescu. Gabita (Laura Vasiliu) et Ottilia (Anamaria Marinca) sont colocs à l’université. La première, enceinte, demande à la seconde de l’aider à se faire avorter. Léger problème: toute interruption de grossesse est considérée comme un crime. N’empêche, moyennant une certaine somme – et quelque "bonus" qu’on taira ici -, un certain Monsieur Bébé (Vlad Ivanov) est prêt à dépanner. Les deux jeunes femmes prennent rendez-vous.

Le scénario, rigoureusement épuré, raconte une histoire simple, mais poignante. Elle est déclinée au passé, mais nous informe également sur le présent.

"C’est juste, affirme Cristian Mungiu. J’ai choisi ce sujet justement parce que je crois qu’il nous renseigne sur la Roumanie contemporaine. Je m’identifie à cette absence totale de jugement moral vis-à-vis de l’avortement. Pendant une trentaine d’années, toute forme de planification des naissances était impossible. Cela a une incidence sur les gens encore aujourd’hui. Je dirais que le film montre ce que le fait de ne pas jouir de ce droit (à l’avortement) a eu comme conséquences, et comment, tout de suite après, l’abus de ce même droit nous a menés dans une direction semblable."

En Roumanie, l’avortement est utilisé encore aujourd’hui comme moyen de contraception – on recenserait quelque 300 000 cas annuellement, bien que les derniers rapports de l’OMS attestent que le nombre d’interruptions de grossesse par femme est passé de 3,4 à 0,84 entre 1993 et 2004.

ULTRA-RÉALISME

Partisan d’une approche non spectaculaire, Cristian Mungiu colle avec rigueur au réel. Il met en scène la vie, la vraie, qui nous prend, en tant que spectateur, à témoin. Impossible de rester indifférent devant les malheurs de Gabita et d’Ottalia (toutes deux habitées de manière extrêmement fine), qui nous touchent droit au coeur. Cela dit, le réalisateur parvient à ne pas s’apitoyer sur leur sort, à colorer le moins possible les événements. "J’ai privilégié des séquences très longues, des plans larges, des plans fixes, qui sont une façon de ne pas commenter les actions, explique-t-il. Ce sont les comédiens qui confèrent aux personnages des émotions justes et vraies, et le spectateur s’en aperçoit. C’est cela qui a donné au film son style particulier. Pas la musique, ni le montage."

Des dialogues aux décors, tout est arrimé au quotidien, tout a l’air naturel. On s’en doute, un tel degré de réalisme n’est pas nécessairement facile à atteindre. Comment Cristian Mungiu s’y prend-il?

"Pour y parvenir, j’applique deux principes, confie-t-il. D’abord, je m’assure de ne mettre dans le scénario que des choses susceptibles de s’être produites. Petit à petit, j’élague tout ce qui correspond à mes opinions ou ne servirait qu’à mener l’action. Ensuite, je cherche le dialogue le plus naturel possible et je tente de convaincre les comédiens de le jouer comme moi je le ferais. Parce qu’au fond, c’est comme si je citais des gens que j’ai entendus, que ce soit en vrai ou par une voix dans ma tête. J’offre donc aux comédiens ma version. Ensuite, libre à eux de trouver, sous ma supervision, la manière qui convient."

De toute évidence, l’approche du cinéaste roumain a trouvé preneur. Autant du côté des comédiens, qui se sont prêtés au jeu de bonne grâce, que du côté du public, qui s’est jusqu’ici montré très réceptif au message proposé.

À voir si vous aimez /
L’oeuvre des frères Dardenne, le cinéma de l’Europe de l’Est, les films ancrés dans le réel