Détention secrète : Abus de pouvoir
Cinéma

Détention secrète : Abus de pouvoir

Détention secrète (Rendition) raconte une histoire de détention qui n’est pas sans rappeler l’affaire Maher Arar. Entretien avec le réalisateur Gavin Hood au Festival international du film de Toronto.

Mis en vedette l’an dernier alors qu’il raflait l’oscar du meilleur film en langue étrangère grâce à Tsotsi, le réalisateur sud-africain Gavin Hood était des plus heureux de venir présenter son nouveau film à Toronto, où il avait remporté le prix du public en 2005 pour ce troublant portrait d’un jeune délinquant.

Tourné aux États-Unis, en Afrique du Sud et au Maroc, défendu par un casting international incluant des stars américaines et des acteurs étrangers, Rendition est un thriller politique haletant et solidement ficelé où l’ex-avocat rend compte à quel point le regard des gens a changé depuis le 11 septembre 2001.

"Depuis ces événements, on croit que la seule façon de rester au pouvoir est de tenir les gens dans la peur et l’ignorance des autres, explique avec fougue Gavin Hood. La dictature et la répression sont ainsi faites, et on les retrouve tant chez les islamistes extrémistes que chez les tenants de l’extrême droite en Occident. Aujourd’hui, le vrai combat est celui entre la raison et la superstition. Et je crois que la voix de la raison est basée sur des documents tels que la Constitution américaine, laquelle a été écrite par des gens intelligents à une époque sans problème afin d’éviter d’agir de façon irrationnelle lorsque arrive une situation de crise."

Le cinéaste poursuit: "Comme nous vivons à une époque de peur, c’est le temps d’aller réévaluer ces documents afin de savoir qui nous sommes, ce que nous combattons, et quels sont les principes que nous ne voulons pas abandonner afin que nous demeurions une société libre. Pour moi, le vrai patriotisme, c’est de préserver ces principes sur lesquels sont basés les États-Unis. Si nous les délaissons, qui sommes-nous? Une bande de brutes se tapant les uns sur les autres!"

"EXTRAORDINARY RENDITION"

Enceinte de plusieurs mois, Isabella (Reese Witherpsoon, fort convaincante) apprend avec stupeur que son mari Anwar (Omar Metwally), scientifique d’origine égyptienne, est accusé d’un attentat terroriste ayant causé la mort d’un agent de la CIA au Caire, alors qu’il se trouvait en voyage d’affaires à Johannesburg. Envoyé secrètement au Moyen-Orient, dans le cadre du programme "Extraordinary Rendition", Anwar est torturé et humilié par un bourreau soucieux des amours de sa fille (Igor Naor), sous le regard d’un jeune agent de la CIA (Jake Gyllenhaal, efficace). À l’aide d’un ami (Peter Sarsgaard), Isabella tentera vainement de faire revenir son mari en plaidant sa cause auprès d’un sénateur indifférent (Alan Arkin) et d’une coriace haute fonctionnaire (Meryl Streep, très inspirée).

Rappelant le sort du Canadien Maher Arar, renvoyé dans son pays d’origine, la Syrie, où il a été prisonnier et torturé puisqu’il était soupçonné d’être lié à Al-Qaïda, le récit de Kelly Shane s’avère encore plus percutant que ce que révèlent les bulletins de nouvelles. Même s’il avoue ne pas avoir voulu trop en montrer, Hood force le spectateur à devenir témoin de la barbarie avec laquelle on traite les prisonniers.

S’il prendra parti automatiquement pour Isabella, blonde d’à côté à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession, et qu’il se révoltera devant l’implacable froideur de la haute fonctionnaire, qui ferait passer Margaret Thatcher pour mère Teresa, le spectateur devra tout de même faire face à des dilemmes moraux, à l’instar de l’agent de la CIA, témoin "privilégié" de l’horreur et rare personnage à ne pas être unidimensionnel. Jamais le réalisateur ne viendra dicter une ligne de conduite, préférant laisser le spectateur à sa propre réflexion – même si ses idéaux se devinent aisément.

"Lorsque le personnage de Meryl Streep dit que des milliers de vies ont été sauvées grâce à ces détentions, elle croit sincèrement que la torture permet d’obtenir de l’information. Le problème, c’est qu’il est rare que cela arrive et que trop souvent la torture entraîne les victimes à avouer des choses qui ne sont pas vraies. Il faut donc se demander si nous utilisons ces techniques intelligemment et si nous créons davantage de problèmes en les pratiquant. Il faut réellement se questionner à propos de ce qui menace réellement nos valeurs occidentales et ne jamais sous-évaluer l’irrationalité des positions extrémistes. Nous faisons face à des ennemis qui croient en le pouvoir absolu de la religion. Il faut se battre pour la liberté, nos principes, nous ne devons pas ramollir devant la menace terroriste", conclut Gavin Hood, qui, plus qu’un deuxième oscar, souhaite sincèrement que le film poussera les gens à discuter entre eux.

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A Mighty Heart de Michael Winterbottom, Missing de Costa-Gavras, Tsotsi de Gavin Hood