Sleuth : Combat de coqs
Dans Sleuth, remake d’un film de Joseph L. Mankiewicz de 1972, Michael Caine reprend le rôle de Laurence Olivier, et Jude Law, celui de, oh surprise… Michael Caine. Propos du réalisateur Kenneth Branagh et des acteurs recueillis au Festival international du film de Toronto.
Trente-cinq ans après la sortie de Sleuth, dernier film de Joseph L. Mankiewicz, d’après une pièce d’Anthony Shaffer, gagnante d’un Tony en 1970, voilà qu’arrive au grand écran une version revampée par Kenneth Branagh, dont on ne compte plus les transpositions des pièces de Shakespeare à l’écran, à la mise en scène et Harold Pinter à la scénarisation, ce dernier étant bien connu des cinéphiles notamment grâce à The French Lieutenant Woman de Karel Weisz et The Comfort of Strangers de Paul Schrader.
Dans la version de 1972, Laurence Olivier, en mode flamboyant cabotin shakespearien, incarnait un riche auteur de romans policiers, Andrew Wike, qui recevait la visite de Marlo Tindle, un jeune et modeste coiffeur, interprété par un Michael Caine tout aussi inspiré que son vénérable aîné, qui lui apprenait qu’il était l’amant de sa femme.
S’ensuivait un très, très long échange verbal où deux grands acteurs de leur génération savouraient chaque réplique caustique du texte de Shaffer et au cours duquel l’étrange manoir envahi de poupées mécaniques et autres jouets anciens contribuait à l’atmosphère insolite de l’ensemble.
DE SHAFFER À PINTER
Qu’en est-il maintenant de la mouture 2007? La description ci-haut pourrait très bien servir au film de Branagh, à quelques différences près. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un remake proprement dit du film de Mankiewicz puisque Harold Pinter, à qui Jude Law, l’un des producteurs du film, a confié le scénario pour le plaisir de dîner en sa compagnie, n’a jamais vu le film.
"Pour moi, nous ne faisions pas un remake, explique le séduisant acteur. Harold a lu la pièce deux fois et a suivi mon idée de se concentrer sur le combat entre deux hommes pour une femme. Il a donc dépouillé la pièce et c’est ainsi que l’affrontement entre eux est devenu plus physique. Même la sexualité y est plus présente."
Ayant accepté de prendre le rôle sans lire le scénario, le grand Michael Caine présente son hypothèse quant au caractère sexuel de Sleuth: "La dimension homosexuelle n’existait pas chez Shaffer, c’est Pinter, dont j’avais interprété la première pièce quand nous étions étudiants et depuis, rien!, qui l’a apportée. Il s’agit de ce qu’on appelle un cas de jalousie morbide où, lorsqu’un homme ne peut pas battre son rival, il violera ce dernier afin d’humilier totalement sa femme."
N’ayez crainte, vous n’assisterez pas à ce genre de scène, bien que Caine et Law se livreront à quelques échanges de coups qui prouveront la grande forme du septuagénaire, mais il est vrai qu’une certaine tension homo-érotique émane de Sleuth. Il faut dire que l’interprétation de Law y est pour quelque chose. Ce dernier, qui a lissé ses belles boucles blondes, dégage une énergie plus féminine que virile avec ses poses langoureuses et ses regards en coin. Tout le contraire du jeune Caine, beaucoup plus coq que poule. Il est vrai que Law ne reprend pas tout à fait le rôle de ce dernier.
Jude Law, qui avait endossé le rôle de Michael Caine dans le remake d’Alfie, se souvient: "Dès que Harold est embarqué dans le processus, c’est alors devenu une pièce de Pinter. Je ne crois pas que Michael aurait accepté d’y jouer si cela avait été un simple remake, d’où aussi mon impression de créer un personnage et non d’en reprendre un. Ce qui m’intriguait, c’était de transférer ce personnage dans un univers contemporain."
Michael Caine, qui n’a jamais voulu voir ce que Law avait fait de son Alfie, renchérit: "Je n’ai jamais eu le sentiment de revisiter Sleuth; j’aurais refusé de faire un remake basé sur la pièce de Shaffer parce que je crois que Mankiewicz en avait fait un film merveilleux. Ce qui m’attirait, c’était le texte de Pinter, lequel est totalement différent du texte original. Aucune réplique du film de Ken ne se retrouve dans l’original. Il était donc impossible pour moi de regarder Jude en pensant que j’aurais dit telle ou telle phrase bien mieux que lui (rires)."
DE MANKIEWICZ À BRANAGH
"Jouer un texte de Pinter, c’est divin, avoue Jude Law. C’est comme jouer d’un instrument de musique. Il faut être attentif au rythme, au souffle et ne pas chercher à faire de l’effet ni à être drôle. Ce que j’aime dans ses dialogues, c’est qu’ils sont comme de la poésie, mais en même temps, c’est le langage de la rue."
Soit, Pinter a dépoussiéré vigoureusement le texte de Shaffer, lui a donné un aspect plus musclé et plus noir et, surtout, l’a amputé du même coup d’une bonne heure. Pourtant, le Sleuth nouveau apparaît, allez savoir pourquoi, tout aussi interminable que l’original.
Ni Caine ni Law ne sont en cause puisque tous deux livrent admirablement leur texte. L’aîné avec une tranquille assurance, le cadet, avec un brin d’insolence: "J’avais l’impression de travailler avec deux jeunes sortant de l’école de théâtre tant ils n’hésitaient pas à répéter longuement, à demeurer ouverts et curieux face à ce qu’ils allaient jouer", relate le réalisateur.
On ne blâmera pas non plus la mise en scène très efficace de Kenneth Branagh qui a judicieusement opté pour un décor minimaliste et froid où les caméras de surveillance ont remplacé le bric-à-brac baroque: "Je voulais que le décor représente l’esprit du personnage de Michael, explique-t-il. Wike veut montrer sa richesse, sa supériorité. En même temps, c’est un paranoïaque entouré de caméras et fasciné par sa maîtrise de la technologie, qui est incapable de sortir de la maison, comme s’il la portait sur son dos. Comme couleur dominante, je voulais du vert, qui représente la jalousie."
Devant tant de talent et de bonne volonté, on se dit pourtant, non sans regret, qu’un remake, encore une fois, n’était vraiment pas nécessaire.
À voir si vous aimez /
Sleuth de Joseph L. Mankiewicz, la plume de Harold Pinter, les duels d’acteurs