Caroline Dhavernas : Caroline a un je-ne-sais-quoi
Cinéma

Caroline Dhavernas : Caroline a un je-ne-sais-quoi

Caroline Dhavernas joue les femmes fatales dans Surviving My Mother, le nouveau film du tandem Émile Gaudreault-Steve Galluccio. Rencontre avec l’actrice, le réalisateur et le scénariste.

Comme son personnage dans Surviving My Mother, Caroline Dhavernas charme tous ceux qu’elle croise. Même Émile Gaudreault a des étoiles dans les yeux quand il parle de la vedette de son film, même si elle ne cadre pas exactement avec les préférences amoureuses habituelles du réalisateur de Mambo Italiano! Néanmoins, il a eu un véritable coup de foudre professionnel pour elle: "T’as de très grandes actrices qui ne sont pas des leading ladies, puis t’as des leading ladies qui ne sont pas de très grandes actrices, précise Gaudreault. Quelqu’un qui allie les deux, c’est très rare. Caroline, elle a ça. Dès que tu la vois à l’écran, tu l’aimes, tu veux qu’elle soit heureuse. C’est pas évident, surtout avec un personnage comme Bianca, qui n’est pas nécessairement sympathique."

Bianca (Dhavernas) est une étudiante universitaire en apparence irréprochable, mais qui mène en fait une double vie, multipliant les conquêtes sexuelles avec des hommes mariés ou des inconnus rencontrés sur Internet. Un peu comme Karine Vanasse dans Ma fille, mon ange, mais avec une actrice qui sait beaucoup mieux jouer le jeu de la séduction, sans toutefois apparaître vulgaire ou insensible: "Il ne faut pas tomber dans cet extrême-là, souligne Dhavernas, parce qu’il faut toujours que le public ait envie de la comprendre. Bianca vient d’une famille où il y a eu la maladie et la mort pendant toute son adolescence, et sa sexualité devient une soupape à ce qu’elle vit à la maison. Elle veut être en contrôle, d’où les techniques qu’elle utilise pour séduire et rencontrer ces hommes-là. Puis, dès qu’ils commencent à s’attacher un peu à elle, c’est fini. C’est presque juste comme un fix, comme une drogue."

DEGENERATION

Le récit met en scène trois générations de femmes. Outre la jeune et délurée Bianca, on rencontre sa mère Clara (Ellen David), qui envie la liberté de sa fille, et sa grand-mère (Véronique Le Flaguais), malade et aigrie. Ces personnages sont particulièrement crédibles et touchants, ce qui peut paraître surprenant lorsqu’on sait qu’ils ont été imaginés par un homme, Steve Galluccio (qui signait aussi Mambo Italiano). "J’ai toujours aimé écrire des personnages de femmes, confie le scénariste, parce que je les trouve fascinantes et complexes, et elles montrent davantage leurs émotions, tandis que les hommes sont toujours plus fermés."

Cet aspect du film rejoint les univers artistiques de Pedro Almodóvar et Michel Tremblay, où la mère et les femmes en général ont toujours une grande importance. "C’est évident qu’il y a une tradition d’artistes homosexuels qui font des oeuvres dans lesquelles il y a beaucoup de personnages féminins, confirme Gaudreault. Il y a une certaine identification. C’est un cliché, les meilleurs amis gais des filles, mais c’est que tu ne vois pas la femme comme quelque chose de menaçant, au contraire, c’est quelqu’un qui te fascine, à qui tu t’identifies."

Surviving My Mother revêt aussi une dimension personnelle, ayant été inspiré en partie par la maladie et la mort de la mère de Galluccio. D’autre part, comme dans Mambo, le film aborde la question des doubles vies et de ce qu’on révèle ou pas aux autres, un thème cher à l’auteur: "Je pense qu’on a tous des doubles personnalités, soutient Galluccio. On a tous un jardin secret qu’on garde bien caché, non seulement à nos parents, mais à nos amis."

Les avancées technologiques contribuent à ce phénomène, chacun pouvant dorénavant se créer une tout autre identité virtuelle: "On est à un point où les jeunes peuvent avoir une vie complètement à l’insu de leurs parents, estime Galluccio, ça n’a jamais été aussi facile. Ils peuvent faire n’importe quoi, à n’importe quel âge."

Les relations qui s’ensuivent sont souvent éphémères, la gratification rapide prenant le dessus sur le long terme: "Internet, MySpace et tout ça, souligne Dhavernas, c’est fait pour des rencontres rapides. On consomme la nouveauté. C’est par peur de s’ennuyer, j’imagine, et dans les relations, c’est beaucoup ça aussi. Je lisais un scénario récemment, Émilie de 7 heures à 13 heures, et il y a un personnage qui disait: "Nos grands-parents se sont aimés toute leur vie, nos parents se sont aimés une moitié de vie, puis nous, on va passer quelques années ensemble." Ça n’a pas de bon sens!"

THÉÂTRE INTERROMPU

Avant de devenir un film, Surviving My Mother était originellement destiné au théâtre. Mais lorsque Galluccio a terminé l’écriture de la pièce, qui s’appelait The Yellow Woman à l’époque, les choses ont pris une autre direction: "J’ai donné la pièce à Denise Robert pour qu’elle me dise ce qu’elle en pensait, se rappelle le scénariste, puis elle m’a appelé deux jours plus tard et m’a dit: "Steve, c’est ton prochain film." J’ai insisté sur le fait que c’était vraiment une pièce, mais elle a dit: "Non, c’est un film! Je vais appeler Émile, vous allez travailler ensemble." Finalement, j’ai dit: "O.K., on va en faire un film.""

Ces origines théâtrales sont imperceptibles dans le produit final, très cinématographique. "Faut dire qu’on me dit déjà tout le temps que les pièces que j’écris sont comme des films, raconte Galluccio, parce qu’il y a beaucoup de lieux et ça bouge beaucoup. Mes plus grandes influences ont toujours été le cinéma et la télévision américaine, alors moi, le théâtre traditionnel, je ne connais pas vraiment ça. J’en ai fait beaucoup parce que quand j’ai commencé à écrire, je voulais monter mes trucs mais j’étais super pauvre, alors je suis tombé dans le théâtre."

Galluccio a tout de même fait un travail d’adaptation pour reconfigurer sa pièce en scénario de film, en collaboration avec Gaudreault, qui n’a eu aucune difficulté à s’investir dans le projet: "Steve et moi, on a beaucoup de choses en commun, les vases communiquent très facilement entre nous. J’embarque dans son univers, mais j’amène aussi beaucoup du mien."

TROUVER UNE VÉRITÉ

Considérant le sujet du film, il est impossible de ne pas s’interroger sur la relation qu’entretient Caroline Dhavernas avec sa propre mère, la comédienne Michèle Deslauriers. "En faisant ce film-là, je me suis dit: une chance que j’ai une bonne relation avec ma mère! D’avoir l’impression, comme Bianca, que tu ne peux pas dire à tes parents des choses qui sont aussi importantes dans ta vie, c’est un stress énorme. Au sein d’une famille, il y aura toujours des moments difficiles, mais ma mère et moi avons le privilège d’entretenir une communication facile et agréable. Et moi, je ne suis pas cachotière. Ma mère m’a toujours dit que j’étais comme un livre ouvert, que quand je contais un mensonge, on pouvait le voir tout de suite." N’est-ce pas surprenant d’entendre ceci venant d’une actrice? "Je comprends le rapprochement qu’on fait mais, pour moi, le jeu n’est pas un mensonge, c’est trouver une vérité."

Pour la suite des choses, Dhavernas flirte avec plusieurs projets, autant au Québec qu’aux États-Unis et ailleurs, poursuivant sa carrière de manière instinctive, comme elle l’a toujours fait. "J’ai un ami qui est en affaires, et il a un five-year plan. Moi, c’est impossible d’avoir un plan comme ça, je suis à la merci du désir des autres de travailler avec moi." Lorsqu’elle repense au chemin parcouru ces dernières années, elle est tout de même satisfaite d’où elle est rendue: "Quand je regarde en arrière, oui, je suis fière. C’est bien de faire ça parce que sinon, on rêve à des trucs puis, quand ça arrive, on ne s’en rend pas tellement compte. Mais je n’ai pas encore eu un boom, un rôle qui transforme une vie, comme Marie-Josée Croze avec Les Invasions barbares. J’ai toujours un peu la même vie, mais je travaille de plus en plus… Tant que ça continue comme ça, je vais être contente", conclut l’actrice.

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