Poor Boy’s Game : Comme un taureau sauvage
Dans Poor Boy’s Game, un combat de boxe exacerbe les tensions raciales à Halifax. Rencontre avec le réalisateur Clément Virgo et l’acteur Rossif Sutherland lors de leur passage au FNC.
C’est tout un pari que de bâtir un film autour d’un protagoniste qui, d’emblée, semble parfaitement détestable. C’est le cas de Donnie (Rossif Sutherland), l’antihéros de Poor Boy’s Game qui, quand on le rencontre, est sur le point de recouvrer sa liberté après 10 ans passés en prison pour avoir battu un jeune noir si sauvagement que celui-ci est devenu handicapé à vie. Donnie désire maintenant racheter ses fautes et se défaire du racisme et de la violence de l’environnement dont il est le produit, mais son retour aura pour effet d’intensifier encore plus les tensions entre la majorité blanche et la communauté noire de Halifax.
Oui, Halifax. Bien que d’apparence paisible, la capitale de la Nouvelle-Écosse est depuis longtemps aux prises avec de graves problèmes de discrimination raciale, comme l’explique le réalisateur Clément Virgo (Rude, Lie with Me), qui est né en Jamaïque mais a passé la majeure partie de sa vie au Canada: "Halifax est unique par rapport au reste du pays. On y retrouve une grande population noire, et ce ne sont pas des nouveaux arrivants; ils sont là depuis quatre générations. Mais si vous allez au centre-ville de Halifax, vous ne vous en rendrez pas compte. Il y a une longue histoire de ségrégation des races, c’est comme une ville américaine."
CONTREBANDE D’IDEES
Pour aborder les thèmes du tribalisme et du racisme de façon percutante, Virgo et son coscénariste Chaz Thorne utilisent le prétexte d’un combat de boxe entre Donnie et Ossie (Flex Alexander), un champion local qui veut lui régler son cas dans le ring au nom de la communauté noire. "Je me vois comme un contrebandier d’idées, raconte le cinéaste. Ici, je les camoufle dans un drame sportif. Ultimement, Poor Boy’s Game n’est pas un film de boxe classique. Je joue avec les codes du genre, mais en les détournant, afin d’arriver à toucher quelque chose d’autre."
Ainsi, en surface, Poor Boy’s Game peut être vu comme une version tordue de Rocky, la trame narrative des deux films étant pratiquement identique: un jeune boxeur paumé, issu d’un quartier ouvrier, s’entraîne pour affronter un champion charismatique et arrogant. Mais alors que le fait que l’un soit blanc et l’autre noir était accessoire dans le scénario de Sylvester Stallone, la question raciale est centrale dans le film de Virgo. Qui plus est, le passé criminel de Donnie en fait un héros loin d’être conventionnel, et on se retrouve devant un conte moral provocant, où personne n’est tout à fait bon ni méchant.
"Pour moi, avance Virgo, ce ne serait pas intéressant de faire un film où les Noirs sont les victimes et les Blancs, les oppresseurs. J’ai plutôt voulu faire un film complexe sur le plan émotionnel, où les spectateurs ont à confronter leurs propres préjugés."
LE SUTHERLAND NOUVEAU
Rossif Sutherland, fils de Donald et demi-frère de Kiefer, défend ici son premier grand rôle au cinéma, aux côtés d’acteurs chevronnés tels que Danny Glover, Tonya Lee Williams et Stephen McHattie. Celui qu’on avait pu apercevoir brièvement dans Timeline fait ici vive impression, avec une performance à fleur de peau qui a quelque chose de James Dean ou Marlon Brando. "Je me suis donné la permission d’être vulnérable, confie Sutherland, de me mettre à nu sans enlever mes vêtements, you know?"
Selon Virgo, il était primordial de trouver un comédien capable d’une telle vulnérabilité: "On a auditionné une centaine d’acteurs, se rappelle le réalisateur, et beaucoup d’entre eux voulaient faire les durs, ce qui n’est pas du tout ce que je recherchais. Je voulais quelqu’un qui donnerait une humanité et une âme au personnage, ce qui est assez ardu parce que le crime qu’il a commis est si horrible. Mais pour que les spectateurs veuillent suivre son parcours, ils doivent ressentir une certaine empathie à son égard. C’est ce que Rossif a apporté au rôle."
Ce qui nous ramène à ce pari initial, soit de nous faire accepter que cet individu, qui nous apparaît au départ comme un monstre, ne soit pas irrémédiablement mauvais: "Donnie vient d’un milieu très violent, il n’est pas éduqué et il projette dans le monde ce qu’il a connu toute sa vie. C’est en se retrouvant derrière les barreaux qu’il sera réhabilité. En étant distancé de son environnement, il a enfin la chance de forger sa propre identité et, à sa sortie de prison, il a le désir non pas de fuir son passé, mais de le confronter, parce qu’il sait que la seule façon dont il pourra vivre avec lui-même, c’est en tentant de redresser ses torts face aux gens qui le détestent. C’est une histoire sur la rédemption et le pardon", conclut Sutherland.
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