Benoît Pilon : Les états nordiques
Dans Des nouvelles du Nord, Benoît Pilon s’intéresse aux habitants de la région de la Baie-James.
Perchée dans la taïga québécoise, à 1000 kilomètres au nord de Montréal, la ville de Radisson a été fondée en 1974, de pair avec les chantiers de la Baie-James, afin d’héberger les milliers d’ouvriers de ce qui fut, selon le cinéaste Benoît Pilon, un des grands mythes fondateurs du Québec moderne. "Pour moi, confie-t-il, c’est l’aboutissement sur le terrain des grands idéaux de la Révolution tranquille, soit la prise de possession du territoire et la mise en oeuvre du génie québécois."
Des nouvelles du Nord n’est toutefois pas un documentaire sur la construction de la centrale LG2, mais plutôt un portrait des hommes et femmes qui vivent dans ce coin de pays. "Les gens vivent là au quotidien, avec leurs rêves, leurs espoirs, leurs difficultés, leurs déceptions et leurs peines, explique Pilon. Moi, c’est ça qui m’intéresse, c’est toujours de ça que j’ai traité dans mes documentaires. L’aspect technologique et tout ça, c’est pas ça qui m’intéressait, si ce n’est que pour montrer l’empreinte sur le territoire."
PLONGÉE DANS L’INCONNU
Le film a nécessité neuf mois de recherche, deux ans de tournage et six mois de montage. Ceci est bien différent des documentaires précédents de Pilon, réalisés de façon presque spontanée avec des gens de son entourage tels que son grand-oncle dans Rosaire et la Petite-Nation ou un voisin marchand dans Roger Toupin, épicier variété. "J’avais toujours un ancrage de proximité, résume Pilon. Avec Des nouvelles du Nord, c’était la première fois que je plongeais dans l’inconnu."
L’élément déclencheur du projet a été un simple élan de curiosité, inspiré par une carte du Québec reçue en cadeau, se rappelle Pilon: "Je voyais cette petite ligne rouge qui part de Matagami, qui est déjà pas mal au nord, puis là, t’as une route de 625 kilomètres qui monte jusqu’à Radisson. On a tellement parlé de la Baie-James dans les années 70, on connaît tous des gens qui y ont travaillé, mais c’est quoi la Baie-James d’aujourd’hui? Qui sont les gens qui y ont pris racine? Qu’est-ce que peut bien faire la coiffeuse de Radisson, c’est quoi sa vie? Puis ce qui est drôle, c’est que quand je suis arrivé là-bas, on m’a justement dit qu’il fallait que je rencontre Pierrette la coiffeuse, et elle est devenue un des personnages principaux du film!"
LE FAR NORTH
Radisson était censée être une ville éphémère, où les gens ne résideraient que temporairement, pendant la construction des barrages; on n’y trouve d’ailleurs pas de cimetière. Et comme toutes les régions, la Baie-James fait face à un exode, causé en grande partie par son isolement du reste du Québec. Certains irréductibles résistent toutefois à la tentation de retourner "en bas". Après tout, il y a quand même quelque chose de séduisant dans l’idée d’habiter ce coin reculé: "C’est un des derniers endroits sur la planète où il y a cet esprit qui a animé le Far West, estime Pilon. C’est le Far North! Et dans une perspective où le Nord est appelé à se développer de plus en plus, les gens de Radisson sont un peu des pionniers."
Le film s’intéresse aussi aux Cris, dont le territoire ancestral a été chambardé par les chantiers des années 70. Similairement aux Algonquins du Peuple invisible, ils vivent à l’écart de la population blanche. "Je suis allé présenter le film à Radisson, raconte Pilon, et les gens me disaient: "C’est incroyable, on les connaît pas!" Ce qu’ils connaissent des Cris, ce sont ceux qui viennent à Radisson boire et jouer. Les autres qui restent chez eux et qui ont une vie paisible, ils ne les voient pas."
Cette situation changera-t-elle? Radisson aura-t-elle un jour son cimetière? Pierrette continuera-t-elle de couper des cheveux au nord du 53e parallèle? Pour avoir réponse à ces questions, Benoît Pilon devra peut-être retourner à la Baie-James dans dix ans et nous rapporter d’autres nouvelles du Nord…
À voir si vous aimez /
Le Chemin d’eau de Jean-Claude Labrecque, les films de Pierre Perrault, Les États nordiques de Denis Côté
DES NOUVELLES DU NORD
Le film débute avec un montage d’images d’archives montrant la construction de la centrale hydroélectrique LG2, dans les années 70, mais ceci n’est qu’une mise en contexte avant ce qui s’avère être non pas un documentaire historique, mais plutôt un portrait intime des gens qui habitent toujours la région de la Baie-James, en dépit de l’isolement du reste du Québec. Des nouvelles du Nord est donc la suite logique des films précédents de Benoît Pilon, qui s’intéresse avant tout aux individus et aux relations humaines. À travers une série de tranches de vie, on découvre des personnages colorés comme l’unique coiffeuse de Radisson, le propriétaire du bar et les Cris du village de Chisasibi. Le tout est parfois un peu anecdotique, mais plus souvent qu’autrement chaleureux et parfois cocasse.