Jean Lemire : La grande évasion
Avec Le Dernier Continent, Jean Lemire nous invite à revivre avec lui et l’équipage du Sedna IV leur année et demie passée en Antarctique.
Prenez une douzaine de marins, de scientifiques et de cinéastes, entassez-les dans un voilier et envoyez-les passer 430 jours en Antarctique: telle est la prémisse du plus récent film du réalisateur et biologiste Jean Lemire. Loin du documentaire pédagogique auquel on aurait pu s’attendre, Le Dernier Continent se présente tour à tour comme un drame de moeurs et un film d’aventures.
"C’est monté comme une fiction, mais avec du vrai monde, explique Lemire. Avec Michel Grou, le monteur, on a vraiment travaillé une trame dramatique, tout en respectant évidemment ce qu’on avait vécu. C’est très important pour moi d’amener les spectateurs à vivre cette expédition-là, à être touchés et à aimer cette nature qu’on montre si fragile, parce que quand on aime quelque chose, on veut le protéger. Au lieu d’être moralisateur ou d’expliquer les changements climatiques, là, on les vit."
L’équipage du voilier océanographique Sedna IV a en effet fait directement l’expérience de l’impact du réchauffement de la planète, particulièrement évident au pôle Sud. "Notre température moyenne était de -5 °C pour les mois d’hiver, avec une seule nuit à -14 °C. Si on m’avait dit ça au point de départ, je ne l’aurais jamais cru!"
LE VOYAGE INTÉRIEUR
En plus des défis posés par les éléments et la navigation en haute mer, aggravés par le retard imprévu de l’arrivée de l’hiver austral, les membres de l’équipage du Sedna IV ont parfois éprouvé des difficultés psychologiques et émotionnelles. Ces dernières étaient attribuables à plusieurs facteurs, dont un mélange d’isolement et de promiscuité. Car, bien que séparés du reste du monde par des kilomètres d’eau et de glace, Lemire et ses compagnons n’étaient pas seuls pour autant, pris qu’ils étaient à partager l’espace restreint de l’embarcation qui leur servait aussi de logis. "En plus de l’expédition réelle, confie Lemire, il y avait un voyage intérieur, dans les profondeurs de l’âme, sans que tu saches trop où tu t’en vas. Ça, ç’a été très déstabilisant. C’est comme si t’étais sur un bateau qui tangue, parce que t’es perdu au niveau de tes émotions… Mais il ne faut jamais que tu t’échoues."
Pour conserver le moral, l’équipage s’est rabattu sur ce qui lui rappelait le Québec, notamment en jouant au hockey sur la banquise. "Quand t’es parti très longtemps, t’as besoin de tes racines, c’est incroyable. Par exemple, à bord du bateau, on écoutait du Daniel Bélanger, du Martin Léon… La game de hockey, c’est ça aussi. C’est important de garder un lien avec qui l’on est."
Paradoxalement, Lemire a eu peine à reprendre le cours de son existence à son retour: "Quand tu quittes pour une aussi longue période, t’acceptes de fuir quelque chose. Puis quand tu reviens, t’as l’impression que ce que tu viens de vivre, c’était peut-être extrême mais c’est peut-être plus normal que ce qu’on vit ici, parce que c’est en relation avec la nature."