De l'autre côté du pays : Le pays fantôme
Cinéma

De l’autre côté du pays : Le pays fantôme

Avec De l’autre côté du pays, la documentariste Catherine Hébert veut nous sensibiliser au sort des Ougandais du Nord, pris dans un conflit meurtrier depuis 20 ans.

À première vue, l’Ouganda semble être une nation prospère et son président, Yoweri Museveni, est souvent considéré en Occident comme l’un des leaders politiques africains les plus exemplaires. Or, si on s’éloigne de Kampala, la capitale, et qu’on traverse le Nil vers le nord, la situation est tout autre: routes détruites, champs déserts, villages abandonnés… On se retrouve devant un véritable pays fantôme, jusqu’à ce qu’on tombe sur un des camps de déplacés où près de deux millions de gens vivent dans une promiscuité et une misère sans nom.

C’est que, depuis 20 ans, une guerre civile fait rage en Ouganda, menée par les rebelles de l’Armée de résistance du Seigneur. Ces derniers tiennent la population du Nord en otage, tandis que les forces militaires de Museveni se contentent de les empêcher de traverser au sud. Laissés à leur sort, les Ougandais du Nord voient depuis deux décennies leurs hommes tués, leurs femmes violées et leurs enfants enlevés.

Étonnamment, cette effroyable crise humanitaire n’a presque aucun écho dans le reste du monde. Avec De l’autre côté du pays, Catherine Hébert espère bien changer les choses. À l’invitation d’une chercheuse américaine, la jeune documentariste québécoise s’était d’abord rendue en Ouganda pour tourner un reportage, Des mangues pour Charlotte. "Lorsque je suis revenue, se rappelle Hébert, j’étais choquée et surtout étonnée de voir que, même moi qui m’intéresse à la politique internationale, je ne savais absolument pas ce qui se passait là-bas. J’ai été bouleversée de constater ce que ça veut dire, une guerre qui dure 20 ans."

La journaliste de formation, qui fut aussi réalisatrice pour Points chauds à Télé-Québec, a donc voulu retourner en Ouganda du Nord pour approfondir sa démarche. Ayant gagné la confiance des gens, d’abord lors d’un voyage de recherche d’un mois puis lors de deux blocs de tournage de plusieurs semaines, elle les a laissés raconter le drame dans lequel ils sont plongés et la guider à travers ce pays hanté par ses innombrables morts et disparus.

Le constat qui en ressort est bien différent de la version officielle imposée par Museveni. "On a dû tourner clandestinement, explique Hébert. Le président, qui est un dictateur, disons-le, ne permet à aucun journaliste de s’éloigner à plus de 40 kilomètres de la capitale. C’est une des raisons pour lesquelles ce conflit-là est l’un des moins médiatisés."

Faisant preuve d’une grande empathie pour les individus qu’elle a rencontrés sans toutefois les prendre en pitié, la cinéaste tenait à montrer leur beauté et leur dignité: "Je trouve que ce sont eux, les vrais résistants, ceux qui continuent à vivre malgré la guerre. La petite Caroline qui marche 10 kilomètres chaque soir pour pouvoir dormir dans un endroit sécuritaire, c’est une vraie forme de résistance. Pour moi, c’était très important de montrer comment ces gens-là sont dignes et, surtout, de ne pas les victimiser. Je ne voulais pas faire ce qu’on appelle un film coup-de-poing, où l’on se demande sur qui on frappe exactement. Je pense qu’on peut choquer sans que les images soient choquantes. C’est plus un film sur les conséquences de la guerre que sur la guerre elle-même."

Les médias internationaux s’intéressant peu à ce qui se passe en Ouganda et sur le continent africain en général, un film comme De l’autre côté du pays est d’autant plus essentiel. "Parce que notre horaire n’est pas dicté par la nouvelle du jour, je pense que c’est un peu le rôle des documentaristes d’aller hors des sentiers battus, de tourner notre regard vers un endroit alors que les yeux du monde entier regardent ailleurs", conclut Hébert.

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DE L’AUTRE CÔTÉ DU PAYS

Récipiendaire du Prix du public aux dernières Rencontres internationales du documentaire, ce film de Catherine Hébert lève le voile sur un coin du monde vers lequel trop peu de regards sont dirigés, malgré la crise humanitaire s’y déroulant depuis 20 ans. Filmé de façon clandestine, De l’autre côté du pays présente le drame qui perdure en Ouganda du Nord de l’intérieur, à travers les bouleversants témoignages des individus qui le vivent au quotidien. La caméra, alerte, saisit autant l’horreur de la situation que la beauté du pays et des gens. Ne faisant pas usage de narration, le film comporte plusieurs passages purement visuels, Hébert étant consciente que les images sont souvent plus évocatrices que les paroles. Les brefs extraits de discours du président Museveni, qui puent la mauvaise foi, confirment cette idée. (K. Laforest)

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