La Belle Empoisonneuse : Champignons tragiques
Cinéma

La Belle Empoisonneuse : Champignons tragiques

Dans La Belle Empoisonneuse, de Richard Jutras, Maxime Denommée se passionne pour les tragédies grecques, les champignons et Isabelle Blais.

Au Québec, avant qu’un film n’entre en production, il doit généralement passer à travers les comités de lecture de diverses instances (Téléfilm Canada, SODEC), où il y a plus d’appelés que d’élus. Par conséquent, les projets les plus audacieux sont souvent écartés au profit d’autres, plus conventionnels. C’est donc un petit miracle de découvrir un film comme La Belle Empoisonneuse qui, sous bien des aspects, détonne par rapport au reste de notre cinéma. Avouez que ce n’est pas tous les jours qu’on voit une comédie romantique invoquant Sophocle et Dostoïevski, avec une bonne dose de champignons magiques!

Comment donc Richard Jutras, qui signe ici son premier long métrage après avoir réalisé de nombreux courts (dont Hit and Run, gagnant d’un Jutra), a-t-il imaginé une telle histoire? "Au moment où j’ai écrit le film, raconte Jutras, j’étais plongé dans la tragédie grecque, j’en ai lu de façon boulimique. J’avais recommencé à lire Dostoïevski aussi et j’ai fait des recoupements. Puis, en construisant le personnage d’Homère, j’avais envie qu’il ait une passion inhabituelle. Alors quand, en lisant sur les champignons, je suis tombé sur la description de la belle empoisonneuse, je me suis dit que ça devait absolument faire partie du film."

Par ailleurs, le scénario de La Belle Empoisonneuse a la particularité d’avoir été écrit très rapidement, après qu’un autre projet de Jutras eut avorté. "J’ai eu besoin de me changer les idées, se rappelle Jutras. Alors très spontanément, je me suis levé un matin, j’ai pris mon ordinateur et c’est sorti comme ça d’un jet, 88 pages dialoguées en huit jours. Évidemment, après coup, il y a un long processus de réécriture. Mais le côté spontané et éclaté qui m’avait motivé au départ, il fallait que ça reste là. Quand on fait de la création, c’est important de prendre des risques."

CROIRE AU PROJET

La Belle Empoisonneuse met en vedette Maxime Denommée dans le rôle d’Homère Angelopoulos Lacroix, un jeune homme qui se passionne pour les tragédies grecques et la mycologie. Sa vie rangée bascule lorsqu’il tombe follement amoureux de Roxane (Isabelle Blais) et se retrouve mêlé avec elle dans une curieuse histoire de vente porte-à-porte, d’adultère et de meurtre.

Denommée, qu’on a souvent vu sur scène, notamment dans Howie le Rookie, qui lui a valu le Masque de la meilleure interprétation masculine en 2003, a été charmé par l’originalité du scénario de Jutras. "Ça m’a plu dès le départ, confie l’acteur. C’est pas une commande, c’est pas un film d’action ou une comédie d’été. C’est personnel, c’est le premier long métrage d’un réalisateur qui avait envie de raconter quelque chose de différent."

Le budget du film étant restreint, les salaires des techniciens furent en partie différés et les comédiens ont reçu le tarif minimum de l’UDA. Forcément, tous ceux qui ont participé au film l’ont fait pour les bonnes raisons, Denommée le premier: "Ce projet-là, je l’ai pas choisi pour l’argent, je l’ai choisi parce que j’y croyais. Dans le métier, il y a deux catégories: l’alimentaire et l’artistique. Au début, quand tu sors de l’École, tu veux pas faire de la pub, t’es un puriste. Puis à un moment donné, tu te rends compte que t’as besoin de l’alimentaire pour ton artistique. C’est grâce aux pubs que je fais que je peux faire du théâtre. L’un n’empêche pas l’autre, l’un aide l’autre."

LES FILLES PARFAITES SONT PLATES

Lorsqu’on se penche sur la filmographie d’Isabelle Blais, on remarque qu’elle tourne souvent avec des cinéastes réalisant leur premier film, que ce soit Québec-Montréal de Ricardo Trogi ou Bluff de Fecteau et Lavoie. De plus, ce sont souvent des oeuvres atypiques, comme Les Siamoises, Un crabe dans la tête ou Saints-Martyrs-des-Damnés. "Les cinéastes qui commencent, peut-être qu’ils essaient justement de trouver des façons différentes de présenter une histoire. Je pense aux Aimants aussi, c’est une comédie romantique mais il y avait un petit côté Marivaux… Quand je lis un scénario, j’aime ça, voir quelque chose de particulier. Je suis plus attirée par les scénarios qui ont une certaine audace, quand ce n’est pas nécessairement évident ou gagné d’avance."

On dénote aussi que l’actrice semble souvent se retrouver à jouer la fille de rêve, celle pour qui l’on a le coup de foudre. "Je ne me considère pas comme un gros pétard, mais tant que je suis jeune, tant mieux, profitons-en… Mais c’est éphémère, alors j’essaie de faire en sorte que mes personnages ne soient pas juste des séductrices." De fait, dans La Belle Empoisonneuse, bien que Blais semble d’abord incarner la femme idéale, on découvre que les apparences peuvent parfois être trompeuses. "Elle a des problèmes dans sa vie familiale, elle est cleptomane, elle a un côté plus sombre… Ce n’est pas juste la belle fille. Les filles parfaites qui sont juste belles, c’est vraiment plate à jouer!"

DE MONTRÉAL À QUÉBEC

Jutras avait originalement situé son histoire à Montréal, mais l’action a été transposée à Québec, à la suggestion de la maison de production Thalie, qui y est établie. Le réalisateur a toutefois voulu éviter de s’attarder sur les attraits touristiques de la capitale nationale, tels que le Château Frontenac ou les plaines d’Abraham: "Ce n’est pas un film réaliste, c’est plus une fable, donc je ne voulais pas ancrer ça dans une ville en particulier. On ne reconnaît pas tant que ça Québec, on ne joue pas le côté carte postale."

Incidemment, Robert Lepage, un des plus célèbres artistes originaires de Québec, apparaît dans le film dans le rôle d’un humoriste, ce qui n’est pas si loin de sa vraie nature, selon Maxime Denommée: "Je n’avais pas l’impression de jouer avec Monsieur Robert Lepage… Il est capable de déconner et d’être vraiment niaiseux, il est très drôle. Ça défait l’image qu’on a de lui en tant qu’icône!"

En salle le 25 janvier

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NARRER OU NE PAS NARRER?

Du début à la fin de La Belle Empoisonneuse, on entend le personnage d’Homère commenter l’action en voix hors champ. Est-ce que cette narration mur à mur enrichit ou alourdit le film?

Richard Jutras: "Le côté pince-sans-rire et un peu décalé de la voix off permet de comprendre le ton de cette affaire-là. C’est pas premier niveau, il y a toutes sortes de petites touches d’humour… C’est un gars qui te raconte une histoire, mais t’es pas sûr que c’est vraiment ce qui s’est passé…"

Maxime Denommée: "Je suis plutôt de l’école que moins t’en dis, mieux c’est. On n’a pas besoin de tout se faire expliquer, on veut deviner. Je trouvais ça trop explicatif, la narration, mais finalement, ça donne quelque chose de meilleur que ce à quoi je m’attendais."